Le Comité consultatif du secteur financier dresse un « bilan très positif de la loi Lemoine »

        

         La loi « Lemoine » du 28 février 2022, la quatrième en un peu moins de douze ans à se pencher sur la situation de l’emprunteur qui contracte une assurance en garantie du remboursement de son prêt immobilier a, semble-t-il, porté ses fruits. Concurrence accrue, baisse des tarifs sont, entre autres, à mettre au crédit de cette loi dont le Comité consultatif du secteur financier a opéré un premier bilan le 15 janvier dernier.

L’octroi d’un prêt destiné à financer l’achat d’un bien immobilier à usage d’habitation (ou à usage professionnel et d’habitation) est quasiment systématiquement subordonné par les banques à la souscription, par l’emprunteur, d’une assurance garantissant le paiement du capital ou des échéances restant dus, dans l’hypothèse où l’emprunteur décèderait ou serait victime d’une invalidité ou d’une incapacité. Afin de préserver le libre jeu de la concurrence et, au-delà, de permettre à l’emprunteur de bénéficier d’une couverture de ses risques à un moindre coût, le législateur a ouvert à celui-ci une faculté de substitution d’une assurance alternative à l’assurance de groupe (souvent jugée fort chère) proposée par la banque prêteuse des deniers. Malgré l’élargissement constant de cette faculté de substitution opéré les lois « Lagarde » (loi n° 2010-737 du 1er juillet 2010), « Hamon » (loi n° 2014-344 du 17 mars 2014) et « Bourquin » (loi n° 2017-203 du 21 février 2017), l’objectif poursuivi par le législateur d’une baisse des tarifs n’avait semble-t-il pas été atteint.

C’est chose faite avec la loi n° 2022-270 du 28 février 2022 « pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l’assurance emprunteur », dite loi « Lemoine », dont le Comité consultatif du secteur financier (CCSF) a dressé le bilan le 15 janvier 2024. Si, comme en témoigne l’intitulé du communiqué du CCSF (« Assurance emprunteur : le bilan très positif de la loi Lemoine »), les apports de la loi de 2022 sont indéniables (I), certains objectifs ne sont cependant pas encore atteints (II).

1 – Les apports de la loi du 28 février 2022

La loi Lemoine a généralisé la faculté de résiliation infra-annuelle, en octroyant (à compter du 1er juin 2022 ou du 1er septembre 2022, pour les polices qui étaient en cours au 1er juin) à l’emprunteur le droit de « résilier le contrat à tout moment à compter de la signature de l’offre de prêt » (C. assur., art. L. 113-12-2). L’objectif de la loi, qui était d’encourager l’emprunteur à comparer les offres d’assurance et, le cas échéant, à changer d’assureur en cours de prêt, a visiblement été atteint (alors que les lois précédentes, qui poursuivaient le même but, n’avaient pas produit l’effet escompté).

Le rapport du CCSF constate, en effet, une hausse de 80 % (entre 2021 et le premier semestre 2023) des demandes de substitution et fait état de la souscription (durant la même période) de 215 000 « contrats alternatifs externes » (c’est-à-dire souscrits auprès d’un assureur qui n’est pas celui que propose le prêteur). Au premier semestre 2023, la part de marché des contrats alternatifs externes s’élevait à un peu plus de 16 %, taux qui devrait augmenter rapidement étant donné l’essor de ces contrats (+ 4% au cours des 5 premiers mois de l’année 2023).

Ces chiffres montrent que les emprunteurs usent enfin de la liberté qui leur est donnée de choisir et/ou de changer d’assureur et encouragent par là-même la concurrence entre les compagnies.

Ceci expliquant sans doute cela, le rapport relève une tendance généralisée à la baisse des tarifs.

Autre point remarquable, le bilan fait également apparaître une baisse (entre 2021 et 2023) des taux de refus d’indemnisation, tout en notant que ces taux restent « non négligeables » : 2,5 % des demandes de prise en charge au titre de la garantie décès / perte totale et irréversible d’autonomie se heurtent à des refus, contre 4% environ en 2021 ; de même, de 7,7 à 10,2% – selon qu’il s’agit d’un contrat alternatif ou d’un contrat groupe bancaire – des demandes concernant les garanties invalidité / incapacité ne sont pas satisfaites, contre 12,6 à 12,8 % en 2021.

Si le bilan de la loi Lemoine apparaît globalement positif, le CCSF pointe néanmoins quelques résultats décevants.

2 – Les déceptions

Le Comité souligne le relatif échec des souscriptions de polices sans questionnaire de santé, souhaitées par le législateur. La loi du 28 février 2022 a en effet inséré dans le Code des assurances un article L. 113-2-1 énonçant que « lorsque le contrat d’assurance a pour objet de garantir […] soit le remboursement total ou partiel du montant restant dû au titre d’un contrat de crédit [destiné à l’acquisition d’un immeuble à usage d’habitation ou à usage professionnel et d’habitation], soit le paiement de tout ou partie des échéances dudit prêt, aucune information relative à l’état de santé ni aucun examen médical de l’assuré ne peut être sollicité par l’assureur, sous réserve du respect de l’ensemble des conditions suivantes :

1° La part assurée sur l’encours cumulé des contrats de crédit n’excède pas 200 000 euros par assuré ;

2° L’échéance de remboursement du crédit contracté est antérieure au soixantième anniversaire de l’assuré ».

Alors que 58,5 % des souscripteurs de crédit remplissaient la condition afférente au montant de l’emprunt (inférieur à 200 000), seuls 23 % d’entre eux ont pu bénéficier de la dispense d’examen médical. Comme le relève le CCSF, du fait de l’allongement de la durée des prêts, subordonner la dispense à la condition que l’emprunteur n’ait pas plus de 60 ans à la date d’échéance du crédit « réduit de manière significative le périmètre d’application de l’abandon de la sélection médicale ». En outre, pour les emprunteurs (peu nombreux) qui remplissent toutes les conditions, l’interdiction faite à l’assureur de questionner le futur assuré sur son état de santé a eu l’effet pervers de provoquer un renchérissement des tarifs ; les assureurs alternatifs externes ont ainsi pratiqué une « hausse préventive » de 10% en moyenne (par rapport à 2021), tandis que la baisse des tarifs proposés par les assureurs groupe bancaires a été nettement freinée.

Autre constat décevant, les délais d’instruction des sinistres demeurent longs, particulièrement lorsqu’est sollicitée la mise en œuvre des garanties invalidité / incapacité. Le CCSF déplore ainsi que 7,2 % des dossiers en cours de traitement, par les assureurs groupe bancaires, en mai 2023 correspondent à des sinistres survenus en 2022 ; ce chiffre grimpe à 9,5% lorsque le contrat a été souscrit auprès d’un assureur alternatif externe.

Maud Asselain

Source

Un article signé, Maud Asselain, Maître de conférences en Droit privé, Directrice de l’Institut des Assurances de Bordeaux pour Alteas.

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