1. – Il arrive fréquemment que des travaux, assimilables à la construction d’un ouvrage, soient entrepris dans un immeuble préexistant. Lorsque des désordres de nature décennale affectent l’ouvrage neuf – une atteinte à la solidité ou à la destination de celui-ci étant constatée –, l’assureur de responsabilité décennale du constructeur, comme l’assureur dommages-ouvrage, est, sans conteste, tenu de prendre en charge leur réparation. Mais quid des dommages causés aux parties anciennes du bâtiment par ces travaux de réhabilitation, de rénovation, de réparation ou d’extension ? Relèvent-ils également de la garantie obligatoire des assurances construction ?
2. – La réponse nous est donnée par l’Ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005, laquelle a introduit dans le Code des assurances un article L. 243-1-1, II, aux termes duquel les « obligations d’assurance [RC décennale et dommages-ouvrage] ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ». Il résulte de ce texte que le principe est celui de l’exclusion des existants du champ des assurances obligatoires (I). Seule l’incorporation desdits existants à la construction neuve permet au maître de l’ouvrage de bénéficier, par exception, des garanties impératives dues par les assureurs RC décennale et dommages-ouvrage (II).

I – Principe d’exclusion des existants du champ des garanties d’assurance obligatoires
3. – La règle est fermement établie par l’article L. 243-1-1, II, du Code des assurances : en principe, les dommages causés aux parties anciennes, « préexistantes », par les travaux neufs ne sont à la charge, ni de l’assureur dommages-ouvrage, ni de l’assureur de responsabilité décennale du constructeur.
4. – Pareille exclusion des « existants » peut paraître étonnante, dans la mesure où il est admis en jurisprudence que la responsabilité encourue par le constructeur en cas de dommages affectant les parties anciennes est de nature décennale, dès lors que ces dommages résultent de la construction neuve et portent atteinte à la solidité ou à la destination de l’immeuble objet des travaux (V. en ce sens : Cass. 3e civ., 9 nov. 1994, n° n° 92-20804 : Bull. civ. III n° 184 : réparation sur le fondement de la responsabilité décennale de l’effondrement du pignon préexistant d’une maison sur laquelle ont été effectués des travaux de rénovation de toiture. – Cass. 3e civ., 25 février 1998, n° 96-16.214 : Bull. civ. III n° 46 : l’installateur d’une cheminée – dont la pose est assimilable à la construction d’un ouvrage – est tenu, sur le fondement de la responsabilité décennale, de réparer les dommages d’incendie causés à la maison préexistante dans laquelle il a réalisé les travaux. – Cass. 1re civ., 29 févr. 2000, n° 97-19143 : Bull. civ. I, n° 44 ; JCP G, 2000.II.10299, rapport P. Sargos : l’entrepreneur chargé de travaux d’agrandissement d’un immeuble est responsable, sur le fondement de l’article 1792 du Code civil, des dommages causés par les travaux aux parties anciennes comme nouvelles de la construction. – Cass. 3e civ., 16 juin 2009, n° 08-12371 : le constructeur d’une salle de bains est tenu, sur le fondement de la responsabilité décennale, des dommages causés au plancher préexistant, lequel s’est affaissé sous le poids de l’ouvrage neuf. – Cass. 3e civ., 24 janv. 2012, n° 11-13165 : l’entrepreneur dont les travaux de rénovation ont provoqué la propagation d’un champignon ayant affecté « la solidité des éléments structurels [préexistants] de l’immeuble » doit réparation des dommages causés auxdits éléments sur le fondement de la responsabilité décennale. Sur cette question, V. également, H. Périnet-Marquet, « La responsabilité relative aux travaux sur existants », RDI 2000, p. 483).
L’on constate donc une discordance entre le domaine de la responsabilité décennale et le champ (plus restreint) des assurances obligatoires.
5. – Néanmoins, la restriction du domaine de l’assurance RC décennale, qui aboutit à ce que certaines hypothèses d’engagement de la responsabilité décennale du constructeur ne soient pas couvertes, n’a rien d’illégitime et s’explique par les règles actuarielles qui gouvernent la matière. En effet, l’assureur a le devoir d’évaluer les risques qu’il prend en charge afin de calculer la prime qu’il réclamera à ses assurés et, au-delà, de préserver l’équilibre financier de la compagnie. Or, si la valeur des ouvrages que l’entreprise assurée construit peut être connue facilement, à l’aide, notamment, de son chiffre d’affaires, il en va différemment de la valeur des existants sur lesquels ladite entreprise est susceptible d’intervenir. En conséquence, imposer à l’assureur de garantir la réparation des dommages causés aux ouvrages neufs est techniquement réalisable, la compagnie étant en mesure de déterminer une prime en corrélation avec le risque couvert. En revanche, contraindre l’assureur à garantir les existants sans limite (comme ce serait le cas si l’assurance obligatoire s’étendait aux parties anciennes des bâtiments) est techniquement irréaliste, à défaut, pour les compagnies, d’avoir la capacité de prévoir le coût maximum des dommages susceptibles d’atteindre ces existants dont la valeur leur est inconnue (Nota : une déclaration ponctuelle – qui serait imposée aux assurés – de la valeur des existants permettrait certes – et en théorie – aux compagnies d’avoir connaissance de cette valeur. Cependant, des millions de chantiers étant entrepris chaque année, aucun assureur ne dispose de services de gestion capables de traiter les millions de déclarations qu’exigerait une bonne appréciation du risque). Il est en conséquence rationnel d’exclure les dommages aux existants du champ des assurances obligatoires, dans la mesure où, comme l’a très justement souligné un auteur, « on ne peut […] demander à un assureur de couvrir, sans limite, un risque qu’il est dans l’incapacité de cerner – et donc d’évaluer – ni faire supporter aux constructeurs – et en répercussion à l’ensemble de la collectivité – le poids financier d’un risque hypothétique maximum dans tous les cas de figure » (G. Leguay, « Quelle assurance pour les existants ? », RDI2000, p. 494).

6. – Quelle que soit l’appréciation que l’on porte sur l’exclusion des dommages aux existants du domaine des assurances obligatoires, il demeure que celle-ci est de principe. Il en résulte que les assureurs dommages-ouvrage et de responsabilité décennale ne sont tenus qu’à la prise en charge des réparations de l’ouvrage neuf atteint de désordres et non à l’indemnisation des désordres causés à l’existant.
En conséquence, dans l’hypothèse – de très loin la plus fréquente – où l’ouvrage neuf est apposé sur ou incorporé dans l’ouvrage existant, l’assureur ne sera pas tenu d’indemniser le maître de l’ouvrage pour les dommages frappant les parties anciennes. Ainsi lorsque des travaux (assimilables à la construction d’un ouvrage) d’installation d’une cheminée, d’une climatisation, d’une pompe à chaleur, d’une salle de bains, etc. sont réalisés à l’intérieur d’un immeuble préexistant et s’incorporent à celui-ci, une fissuration des murs, un affaissement des planchers du bâtiment ancien provoqués par les travaux ne seront pas couverts par l’assurance obligatoire. Il en va de même des dommages causés au bâti préexistant par des travaux de façade, de pose de panneaux photovoltaïques en toiture ou de réfection du toit (V., par ex., Cass. 3e civ., 30 mai 2024, n° 22-20711 : RGDA juin 2024, p. 19, note P. Dessuet ; BJDA 2024, n° 93, comm. 18, obs. F.-X. Ajaccio ; LEDA juill. 2024, obs. J. Mel ; JCP G 2024, act. 921, note J.-P. Karila ; Resp. civ. et assur. juill.-août 2024, comm. 180, S. Bertolaso ; RDI juill.-août 2024, p. 410, obs. C. Charbonneau : en l’espèce les travaux de pose de tuiles nouvelles – plus lourdes que les anciennes – sur la charpente préexistante d’un immeuble avaient entrainé une torsion de celle-ci. La décision des juges du fond qui avaient condamné l’assureur de responsabilité décennale du constructeur à indemniser les dommages causés à la charpente est censurée par la Cour de cassation).
7. – Remarque : Dans ce contexte d’ouvrages neufs réalisés sur ou dans un bâtiment ancien, rappelons que le constructeur est susceptible d’engager sa responsabilité décennale, laquelle l’oblige, selon la jurisprudence, à réparer non seulement les désordres (décennaux) causés à l’ouvrage qu’il a réalisé, mais encore ceux qui ont été causés aux parties anciennes (Cf supra n° 4). Ni l’assureur de responsabilité décennale, ni l’assureur dommages-ouvrage n’étant tenus de prendre en charge ces derniers désordres, il est plus que recommandé aux constructeurs, ainsi qu’aux maîtres d’ouvrage qui réalisent des travaux sur existants de souscrire une garantie facultative. Nota : En application de la Convention du 8 septembre 2005 « entre l’Etat, les assureurs et les maîtres d’ouvrage », relative à la « garantie dommages aux existants consécutifs à des travaux », les assureurs se sont engagés à proposer systématiquement une garantie des existants, laquelle prévoit l’indemnisation, dans la limite d’un plafond contractuel, des dommages matériels, de nature décennale, causés au bâtiment ancien par les travaux entrepris, ce qui suppose que ces derniers aient porté atteinte à la solidité de la partie préexistante ou ait rendue celle-ci impropre à sa destination (sur cette convention, V. G. Leguay, « L’assurance construction », Dr. et ville 2007, p. 170-180, https://lext.so/CTqtVK).
8. – La souscription de cette garantie facultative subordonne la prise en charge par les assureurs RC décennale et dommages-ouvrage des dommages causés aux existants. À moins, toutefois, que les travaux entrepris n’aient abouti à l’incorporation totale de la construction ancienne dans l’ouvrage neuf, auquel cas ces assureurs sont tenus – exceptionnellement – d’indemniser les désordres décennaux causés à l’existant au titre des garanties obligatoires.
II – Inclusion exceptionnelle des dommages aux existants dans le champ des garanties d’assurance obligatoires
9. – L’article L. 243-1-1, II, du Code des assurances – qui pose le principe d’inapplication aux existants des garanties d’assurance obligatoires – prévoit une exception au profit de « ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles », lesquels sont donc impérativement couverts par les assureurs dommages-ouvrages et RC décennale.
10. – La disposition prévoyant l’indemnisation des dommages de nature décennale causés aux existants étant une exception, elle est d’interprétation stricte et ne saurait être étendue à d’autres hypothèses que celle qui est précisément visée.
La Cour de cassation a ainsi récemment rappelé, aux termes d’un arrêt qui fait figure d’arrêt de principe, que :
« Selon [l’article L. 243-1-1, II, du Code des assurances], les obligations d’assurance édictées par les articles L. 241-1, L. 241-2, et L. 242-1 du Code des assurances ne sont pas applicables aux ouvrages existants avant l’ouverture du chantier, à l’exception de ceux qui, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles.
Il en résulte que l’assurance obligatoire ne garantit les dommages à l’ouvrage existant provoqués par la construction d’un ouvrage neuf que dans le cas d’une indivisibilité technique des deux ouvrages et si celle-ci procède de l’incorporation totale de l’existant dans le neuf.
Les deux conditions sont, ainsi, cumulatives et les dommages subis par l’ouvrage existant ne sont pas garantis lorsque c’est l’ouvrage neuf qui vient s’y incorporer » (Cass. 3e civ., 30 mai 2024, n° 22-20711 : RGDA juin 2024, p. 19, note P. Dessuet ; BJDA 2024, n° 93, comm. 18, obs. F.-X. Ajaccio ; LEDA juill. 2024, obs. J. Mel ; JCP G 2024, act. 921, note J.-P. Karila ; Resp. civ. et assur. juill.-août 2024, comm. 180, S. Bertolaso ; RDI juill.-août 2024, p. 410, obs. C. Charbonneau).
En l’espèce, les travaux entrepris consistaient dans la réfection d’un toit et la pose de tuiles nouvelles. Le poids de ces dernières causa un affaissement et une torsion de la charpente préexistante. Pour condamner l’assureur de responsabilité décennale de l’entrepreneur à garantir le dommage causé à l’existant, les magistrats de la cour d’appel s’étaient contentés, après avoir relevé que les désordres étaient bien de nature décennale (la solidité de l’immeuble, comme sa destination étant atteinte), de constater que « la couverture installée sur la charpente forme avec elle un tout indivisible pour constituer la toiture, de sorte que la garantie décennale doit s’appliquer, sans que puissent être opposées les dispositions de l’article L. 243-1-1, II, du Code des assurances ».
La cassation intervient pour manque de base légale : la cour d’appel ne pouvait condamner l’assureur « sans caractériser en quoi l’ouvrage existant s’incorporait totalement dans l’ouvrage neuf, ni en quoi ils étaient techniquement indivisibles ».
La 3ème Chambre civile fait une application exacte des conditions de mise en œuvre de l’exception prévue par l’article L. 243-1-1, II, du Code des assurances, lequel subordonne l’obligation de garantie des existants à la charge de l’assureur RC décennale à deux conditions cumulatives : d’une part l’incorporation de l’ouvrage ancien dans l’ouvrage neuf, d’autre part l’indivisibilité technique de l’ensemble.
Visiblement, les juges du fond avaient perdu de vue la première condition afférente à l’incorporation. A supposer que couverture et charpente soient « techniquement indivisibles » pour former la toiture, il demeure que l’incorporation éventuellement constatée était celle de l’ouvrage neuf dans l’ouvrage ancien, la couverture nouvelle venant s’intégrer à la construction ancienne et non l’inverse comme l’exige la loi pour contraindre l’assureur à garantir les dommages aux existants.

11. – En dehors de ce cas d’espèce où la condition d’incorporation n’était d’évidence pas remplie, on peut s’interroger sur la teneur exacte de l’exigence. À l’aide de quels critères peut-on estimer qu’une partie ancienne est incorporée à l’ouvrage neuf ?
Un auteur (G. Leguay « L’ordonnance sur le champ d’application des obligations d’assurance en matière de construction », RDI 2005, p. 250) a tenté de clarifier l’intention des rédacteurs de l’article L. 243-1-1 du Code des assurances. Selon lui, « ceux-ci souhaitaient exclure des assurances obligatoires les existants qui, comme dans la majorité des hypothèses de travaux sur existants, avaient conservé une existence technique propre et soumettre aux assurances obligatoires ceux qui avaient, du fait des travaux de démolition effectués, perdu toute existence technique propre avant d’être totalement incorporés dans l’ouvrage neuf. […] L’exemple que tout le monde peut aisément avoir à l’esprit est celui des immeubles anciens dont on ne conserve que la façade pour des raisons d’alignement, de classement ou d’esthétique, quoiqu’il en soit strictement indépendantes de la technique et que l’on devra d’ailleurs sérieusement étayer pour qu’elle tienne debout avant de l’incorporer totalement dans l’ouvrage neuf, avec lequel elle ne fera plus qu’un, ouvrage neuf et existant étant alors techniquement indivisibles »
Un autre auteur (P. Dessuet, note sous Cass. 3e civ., 30 mai 2024, n° 22-20711 : RGDA juin 2024, p. 19) propose « d’introduire le critère de la perte d’autonomie structurelle de l’existant pour préciser la notion d’incorporation, car c’est finalement le sens profond de ce terme : l’existant est devenu une sorte de matériaux des travaux neufs ».
12. – Si l’on suit bien cette doctrine, l’application des garanties d’assurance aux existants devraient être limitée aux hypothèses – somme toute exceptionnelles (ce qui est conforme à l’intention du législateur) – où les travaux de rénovation sont d’une ampleur telle que l’ouvrage neuf « absorbe » l’ancien au point de le faire disparaître en tant qu’ouvrage. A l’issue du chantier, l’ouvrage ancien a disparu, pour n’être plus qu’un élément ancien (conservé à des fins esthétiques ou d’économie) de l’ouvrage neuf.