Tentative d’identification des « éléments dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage »

  1. Selon les auteurs du « Rapport sur le champ d’application de l’assurance construction obligatoire », remis au ministère le 1er décembre 1997 (rapport « Périnet-Marquet » : https://www.vie-publique.fr/rapport/25587-rapport-sur-le-champ-dapplication-de-lassurance-construction-obligatoi ) « le souhait des assureurs et des constructeurs de voir écartés du champ d’application de l’assurance construction [les] équipements professionnels paraît légitime, non seulement au regard de leur besoin de sécurité juridique, mais encore de la philosophie profonde de la loi de 1978. En effet, sans qu’il soit même besoin de se référer aux travaux préparatoires de la loi, de tels éléments d’équipement professionnel, fussent-ils installés dans un bâtiment à usage professionnel, n’ont aucun lien, si ce n’est leur lieu d’installation, avec la construction. Les entreprises les fabriquant ne sont pas des entreprises de construction, pas d’ailleurs davantage, la plupart du temps que celles qui les installent sur le site. Les désordres de tels matériels relèvent donc, sauf exception, du droit de la vente, et éventuellement, s’ils ont fait l’objet d’une commande spécifique, du louage d’ouvrage. Mais s’ils sont alors locateurs d’ouvrages, leurs fabricants ne deviennent pas, pour autant, constructeurs » (§ 59 du Rapport).

  1. Il fut alors proposé d’insérer dans le Code civil un article ainsi rédigé : « Sont considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792 et 1792-4, ou comme des éléments d’équipement d’un bâtiment au sens des articles 1792-2 et 1792-3, les seuls éléments d’équipement nécessaires à la destination immobilière de cet ouvrage ou de ce bâtiment à l’exclusion de ceux qui sont spécifiques à l’activité économique devant y être exercée».

  1. L’Ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005 retint une formulation un peu différente puisque l’article 1792-7 finalement adopté (et toujours en vigueur) énonce que « ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage ».

  1. La lecture des travaux préparatoires qui ont inspiré le législateur de 2005, permet de dégager un critère de distinction entre les éléments qui relèvent de la garantie décennale des constructeurs (et des garanties d’assurance obligatoires) et ceux qui en sont exclus (I), de même que peut être déterminé le sort qui doit être réservé aux éléments d’équipement à vocation à la fois immobilière et professionnelle (I).

I – Critère de distinction des éléments d’équipement exclus du champ de la garantie décennale

 

  1. Selon le Rapport Périnet-Marquet (§ 64), « en matière industrielle, entrent dans la destination immobilière du bâtiment tous les éléments nécessaires à recevoir les machines prévues. En revanche, ces machines elles-mêmes, spécifiques à l’activité devant être exercée dans les lieux, et étrangères au secteur de la construction, ne peuvent être couvertes par la garantie décennale. Ainsi, un socle de béton nécessaire à l’installation d’une machine, les particularités de la structure du bâtiment nécessaire à l’accrochage ou à la fixation des machines entrent dans la destination immobilière du bâtiment, pas les machines elles-mêmes. Les friteuses d’une installation de restauration rapide sont extérieures au droit de la construction, au contraire du plan de travail destiné à les recevoir. Il en va de même d’une chaîne de montage ou d’un système de tuyauterie purement industriel, même s’il traverse les murs ou s’y trouve fixé » […] ; « bien entendu, les chaudières d’un bâtiment, et plus généralement les dispositifs de chauffage ou de climatisation, ou encore d’éclairage ou de déplacement, comme les ascenseurs, les dispositifs d’aération entrent dans les éléments d’équipement soumis aux articles 1792 et suivants».

  1. Il serait en conséquence possible de distinguer deux types d’éléments d’équipement :

            – les éléments d’équipement destinés à l’accueil de l’activité professionnelle et dont la défaillance, dès lors que celle-ci porte atteinte à la solidité de l’ouvrage ou à la destination de celui-ci, engage la responsabilité décennale du constructeur et ouvre droit aux garanties d’assurance obligatoires ;

            – les éléments destinés exclusivement à l’exercice de l’activité professionnelle.

            L’élément d’équipement rentre ainsi certainement dans la première catégorie lorsque sa défaillance rend l’ouvrage inapte à accueillir le personnel et/ou la clientèle, en raison d’un risque pour la sécurité ou la santé humaine, ou encore lorsque sa défaillance rend le bâtiment objectivement inexploitable, quelle que soit l’activité envisagée (désordres affectant les circuits d’eau potable, les sanitaires, les sols, etc.). L’élément d’équipement relève, en revanche, de la seconde catégorie lorsque son dysfonctionnement n’interdit que l’activité professionnelle spécifique à laquelle le maître de l’ouvrage destinait le bâtiment.

  1. Il a ainsi été jugé que le réseau de câblage informatique d’un immeuble de bureau « répond aux besoins de la fonctionnalité numérique de l’ouvrage nécessaire à tout bâtiment abritant une entreprise » et que, en conséquence, il n’entre pas dans la catégorie des éléments d’équipement à vocation exclusivement professionnelle (Cass. 3e civ., 14 déc. 2022, n° 21-19.377 : RGDA janv. 2023, p. 39, note P. Dessuet).Inversement, mais suivant la même logique, il fut considéré que la garantie d’assurance de responsabilité décennale ne peut pas être sollicitée en présence de dysfonctionnement affectant « une machine à soupe automatisée » pour l’alimentation des porcs (Cass. 3e civ., 22 juillet 1998, n° 95-18415) ou en présence de désordres affectant les éléments d’équipement industriels destinés à automatiser la fabrication du champagne (Cass. 3e civ., 4 nov. 1999, n° 98-12.510 : Bull. civ. III, n°209). Pareils éléments sont en effet exclusivement consacrés à l’exercice de l’activité spécifique du maître de l’ouvrage.

  1. Une incertitude aurait pu naître lorsque l’élément d’équipement litigieux a une utilité à la fois « immobilière » et « professionnelle ». Mais le législateur a évité cet écueil en faisant sortir du champ de la garantie décennale (et biennale) les seuls éléments exclusivement professionnels, ce qui devrait sceller le sort des éléments « mixtes ».

II – Sort des éléments d’équipement à vocation mixte

 

  1. L’article 1792-7 excluant du champ de la garantie décennale des constructeurs les seuls éléments « dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage», les désordres affectant des éléments d’équipement qui ont une fonction mixte sont, eux, de nature à déclencher les garanties légales.

            Ainsi un système de climatisation exceptionnel destiné à éviter une surchauffe des machines exploitées dans le bâtiment a une fonction professionnelle, mais, dès lors qu’il vise également à ce que la température soit supportable pour le personnel de l’entreprise et/ou qu’il vise à prévenir l’explosion des machines et donc à assurer la sécurité des personnes, il entre dans la catégorie des éléments « mixtes » susceptibles d’engager la responsabilité décennale du constructeur.

  1. La Cour de cassation semblait suivre ce raisonnement. Elle avait ainsi été jugé que, «ayant relevé que le variateur était un élément d’une installation destinée à l’évacuation des gaz, des fumées et des poussières de la fonderie attachée au gros œuvre, participant au fonctionnement de l’ouvrage, la cour d’appel a pu en déduire que les dysfonctionnements de cet équipement [engageaient la responsabilité décennale du constructeur] » (Cass. 3e civ., 9 mai 2014, n° 12-23.933 : RGDA sept. 2014, p. 462, note P. Dessuet). C’est bien l’activité spécifique de fonderie qui nécessitait l’installation de pareil équipement (en raison des rejets toxiques particuliers qu’elle engendre), mais, outre cette vocation « professionnelle », cet élément avait également pour fonction de rendre l’air respirable dans le bâtiment, ce qui est requis dans tout bâtiment, quelle que soit l’activité qui y est exercée ; il avait donc également une vocation « immobilière ».

  1. Un arrêt récent, en date du 6 mars 2025, laisse cependant redouter que la Cour de cassation n’ait considérablement assoupli l’exigence d’exclusivité (de la fonction professionnelle) requise pour faire échapper l’élément d’équipement à la sphère de la responsabilité décennale (Cass. 3e civ., 6 mars 2025, n° 23-20018 : BJDA n° 98, mai 2025, comm. 13, F.-X. Ajaccio ; Constr.-Urb. avr. 2025, comm. 49, M.-L. Pagès-De Varenne ; RGDA avr. 2025, p. 34, note P. Dessuet).

            En l’espèce des travaux de rénovation d’une station de lavage de voitures avaient été entrepris, consistant en des terrassements et dans la fourniture et la pose, notamment, d’un réseau d’évacuation incluant un « séparateur d’hydrocarbures » destiné au traitement des eaux usées et boueuses de la station. Il n’était pas discutable, ni discuté, que les travaux réalisés étaient constitutifs d’un ouvrage neuf.

            Des dysfonctionnements affectant le séparateur d’hydrocarbures entrainèrent des débordements d’eaux non filtrées sur les pistes de lavage, ce qui contraignit le maître l’ouvrage à renoncer à l’exploitation de certaines d’entre elles. La Cour d’appel estima que le constructeur engageait sa responsabilité décennale à l’occasion de ces désordres et condamna celui-ci à réparation, ainsi que son assureur de responsabilité décennale. Pour les juges du fond, les désordres étaient bien de nature décennale, « le séparateur d’hydrocarbures n’était pas un élément d’équipement dont la fonction exclusive est de permettre l’activité de la station de lavage mais un équipement de traitement des eaux potentiellement chargées de boues et d’hydrocarbures générées par l’utilisation de la station de lavage ». En d’autres termes, l’élément d’équipement litigieux n’était pas assimilable à ceux dont la défaillance est source d’une responsabilité contractuelle de droit commun (et non décennale), par application de l’article 1792-7 du Code civil. On retrouvait dans la motivation des juges du fond un raisonnement jusque-là validé par la Cour de cassation : pour la cour d’appel, outre une raison d’être professionnelle, le séparateur litigieux avait également pour fonction d’évacuer des eaux polluées et donc de prévenir un risque pour la santé de la clientèle et/ou un risque d’atteinte à l’environnement ; sa fonction « mixte » justifiait qu’il fût exclu du champ d’application de l’article 1792-7 du Code civil.

            La décision est pourtant censurée par la troisième Chambre civile dans son arrêt du 6 mars dernier, la Haute Cour estimant que « le séparateur d’hydrocarbures constituait un équipement de traitement des eaux potentiellement chargées de boues et d’hydrocarbures générées par l’utilisation de la station de lavage », ce dont il résultait qu’il correspondait bien à un élément d’équipement ne relevant pas de la responsabilité décennale.

  1. La motivation de l’arrêt est laconique. Doit-on comprendre que, dès lors que l’élément d’équipement atteint de désordres n’est nécessaire qu’en raison de l’activité particulière exercée dans l’ouvrage, il ne peut entrainer qu’une responsabilité de droit commun du constructeur qui l’a installé ?

            Si telle est la bonne interprétation, la responsabilité décennale du constructeur, encourue dans le cadre de la construction d’un ouvrage destiné à l’exercice d’une activité professionnelle, s’en trouvera allégée, dans la mesure où nombre des éléments d’équipement qu’il fournit relèveront désormais des dispositions de l’article 1792-7 du Code civil. Ainsi, les désordres d’un câblage électrique renforcé de bureaux destinés à accueillir une activité d’informatique, n’engendreraient désormais qu’une responsabilité de droit commun, car pareil câblage ne se justifie que par les exigences de l’activité précisément envisagée. Pareillement, il faudrait considérer que le dysfonctionnement d’un système de climatisation hyper-puissant à l’occasion de la construction d’un « Data-center », lequel ne se justifie que par la nature de l’activité professionnelle entreprise, relève des dispositions de l’article 1792-7 du Code civil, quand bien même le dysfonctionnement en question rendrait la température insupportable dans le bâtiment. Il en irait de même pour des éléments visant à une insonorisation exceptionnelle des lieux rendue impérative du fait de l’activité de discothèque prévue dans le bâtiment.

  1. Poussé à son paroxysme, le raisonnement de la Cour de cassation pourrait aboutir à faire entrer dans le champ de l’article 1792-7 du Code civil tous les éléments d’équipement installés à l’occasion de la construction d’un ouvrage et qui ne sont pas des éléments « de base », en ce sens qu’ils ne se retrouvent pas dans tous les bâtiments destinés à une exploitation commerciale ou industrielle quelconque. Chaque fois que la présence de l’élément d’équipement serait justifiée par la nature spécifique de l’activité entreprise, il relèverait de l’article 1792-7 du Code civil.

  1. Il faut souhaiter que la Cour de cassation clarifie au plus vite sa position. Car, pour l’heure, il demeure bien difficile, en cas désordre affectant un élément d’équipement d’un ouvrage autre que d’habitation, de déterminer la nature (décennale ou de droit commun) de la responsabilité encourue par le constructeur et, partant, d’identifier l’assureur qui est appelé à garantir, ou à tout le moins, la garantie (garantie RC décennale obligatoire ou garantie RC de droit commun facultative) qui peut être sollicitée. Ce qui est source d’insécurité pour tous les acteurs du secteur.

Maud Asselain

Un article signé, Maud Asselain, Maître de conférences en Droit privé, Directrice de l’Institut des Assurances de Bordeaux pour Alteas.

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