Étude des conditions de validité des exclusions de garantie

            Il arrive que, à l’occasion d’un sinistre, l’assureur oppose un refus de garantie, en se prévalant d’une clause d’exclusion. Ce refus n’est légitime de la part de la compagnie que si l’exclusion invoquée remplit, cumulativement, les conditions de validité et d’opposabilité imposées par la loi et la jurisprudence *.

* Les conditions d’opposabilité de l’exclusion feront l’objet d’une étude ultérieure.

            Le principe de liberté des conventions commande de laisser aux parties le droit de fixer comme elles l’entendent le contenu de leur accord. En conséquence et sauf exception (la loi imposant ou interdisant parfois la garantie de certains risques), l’assureur et le souscripteur déterminent librement les événements qu’ils désirent soumettre à l’assurance et les conséquences qu’ils souhaitent voir garanties.

            Pour ce faire, les parties au contrat d’assurance procèdent par étapes.

            La première étape consiste à définir la garantie de principe. Les parties formulent alors dans une rubrique intitulée « objet de l’assurance » ou « objet du contrat » une définition très générale du risque assuré, ce qui permet d’avoir une première idée de ce que l’assurance garantit (ex. : le contrat couvre la responsabilité civile de l’entreprise ; le contrat est une police « multirisques habitation »).

            Une fois cette garantie de principe énoncée, une présomption va jouer. Cette présomption est édictée par l’article L. 113-1 du Codes assurances, aux termes duquel « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ». En application de ce texte, toutes les circonstances et toutes les conséquences du risque défini sous la rubrique « objet de l’assurance » sont présumées garanties par l’assureur. Cette garantie subsistera, à moins que la circonstance ou la conséquence en question ne fasse l’objet d’une exclusion. Les parties qui ne souhaitent pas garantir de façon illimitée le risque objet du contrat (ce qui est toujours le cas) doivent donc, dans une seconde étape, affiner la définition du risque qui sera effectivement couvert. Pour ce faire et en raison de l’existence de cette présomption légale, elles doivent nécessairement recourir à des clauses d’exclusion conventionnelles.

            L’exclusion est définie par une jurisprudence constante comme « la clause, qui prive l’assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque, constitue une clause d’exclusion de garantie » (Cass. 1re civ., 26 nov. 1996, n° 94-16058 : Bull. civ. I, n° 413 ; Resp. civ. et assur. 1997, chron. 5, H. Groutel. Dans le même sens : Cass. 2e civ., 14 oct. 2021, n° 20-14094 : RGDA déc. 2021, p. 19, note L. Mayaux ; Cass. 3e civ., 20 avr. 2022, n°21-16297 : LEDA juin 2022, n° DAS200s3, obs. S. Abravanel-Jolly).

            La stipulation d’exclusions a pour effet de laisser l’assuré à découvert de garantie dans certaines circonstances de survenance du sinistre. Etant donné cet effet – radical et potentiellement dangereux pour l’assuré – il importe, d’abord, que l’attention de celui-ci soit spécialement attirée sur l’existence de ces clauses ; il importe, ensuite, que lesdites clauses soient claires, précises et limitées, afin que l’assuré sache exactement dans quelles circonstances il ne sera pas garanti. C’est pourquoi le Code des assurances subordonne la validité des exclusions à des conditions de forme (I), mais également de fond (II).

1 – Condition de forme

            L’article L. 112-4, alinéa dernier, du Code des assurances énonce que « les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents ».

            Il résulte de ce texte que la clause d’exclusion doit se détacher du contexte de façon à être saisie facilement par une lecture rapide. L’attention de l’assuré doit être spécialement attirée par la clause (V. Cass. civ., 14 mai 1946 : D. 1946, jurispr. p. 281, note P. Lerebours-Pigeonnière ; Grds arrêts dr. assur., p. 156, obs. H. Groutel).

            Cela étant, il n’existe aucun modèle imposé pour la rédaction de la clause. En cas de litige, il appartient aux juges du fond de déterminer, au cas par cas, si la clause est effectivement rédigée en caractères très apparents. Globalement, la jurisprudence se montre assez stricte (V. par ex., Cass. 1re civ., 25 mars 1991 : Resp. civ. et assur. 1991, comm. 220 et chron. 16, H. Groutel : en l’espèce, les exclusions étaient énumérées en caractères gras dans une rubrique spéciale, mais celle-ci débutait par les termes « restent exclus… », lesquels étaient rédigés en caractères ordinaires, ce qui suffit à invalider la clause. V. également, Cass. 1re civ., 1er déc. 1998, n°96-18993 : Bull. civ. I, n°332 ; RGDA 1999, p. 99, note L. Mayaux ; Resp. civ. et assur. 1999, chron. 6 « L’assuré qui en avait vu de toutes les couleurs », H. Groutel : en l’espèce, la Cour de cassation approuve une cour d’appel qui avait invalidé l’exclusion pourtant rédigée en caractères gras et détachée du contexte, au motif que d’autres clauses, rédigées en rouge, attiraient davantage l’attention du lecteur. V. encore, Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n°08-14482 : Resp. civ. et assur. 2010, comm. 29, H. Groutel : l’arrêt censure une cour d’appel qui avait fait application d’une exclusion figurant dans une police de groupe emprunteur sans avoir vérifié, alors qu’elle y était invitée, que la clause figurait bien en caractères très apparents dans la notice remise à l’adhérent).

2 – Conditions de fond

            L’article L. 113-1 du Code des assurances exige de l’exclusion, à peine d’invalidité, qu’elle soit « formelle et limitée ».

A – Caractère formel de l’exclusion

            Le terme « formel » signifie « qui est formulé avec précision, qui n’est pas équivoque » (Dictionnaire Larousse). Un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 8 octobre 1974 avait ainsi traduit l’exigence légale : « avec l’exigence d’une exclusion formelle et limitée, le législateur veut que la portée ou l’étendue de l’exclusion soit nette, précise, sans incertitude, pour que l’assuré sache exactement dans quels cas et dans quelles conditions il n’est pas garanti » (Cass. 1re civ., 8 oct. 1974 : D. 1975, p. 513, note Cl.-J Berr et H. Groutel).

            Une exclusion formelle est donc une exclusion à la fois claire (1°) et précise (2°).

 

1 – Clarté de l’exclusion

            Une exclusion claire est une exclusion non équivoque, dépourvue d’ambiguïté.

            Cela suppose qu’elle soit rédigée en termes intelligibles et compréhensibles par l’assuré et qu’elle ne laisse aucun doute sur les événements qui sont exclus.

            Dès lors, une clause qui est susceptible de revêtir deux ou plusieurs sens, de sorte qu’elle ne pourra être mise en œuvre qu’après un travail d’interprétation ne peut être considérée comme claire et donc comme « formelle » au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances. C’est ce qu’a finalement admis la Cour de cassation dans un arrêt de principe du 22 mai 2001, après avoir longtemps statué en sens contraire (V. par ex., Cass. 1re civ., 4 juill. 1995 : RGDA 1995, p. 866, note A. Favre-Rochex). Dans cet arrêt, la première Chambre civile a affirmé de la façon la plus nette qu’au sens de l’article L. 113-1 du Code des assurances, une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée (Cass. 1re civ., 22 mai 2001, n°99-10849 :  Bull. civ. II, n°140 ; RGDA 2001, p. 944, note J. Kullmann ; D. 2001, jurispr. p. 2778, note B. Beignier ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. 241 et chron. 17, H. Groutel). En l’espèce, la clause litigieuse figurant dans une police de groupe excluait du champ de la garantie « les incapacités contractées par l’assuré antérieurement à son admission dans l’assurance ». Or l’assuré avait été victime à l’âge de 7 ans, soit 39 ans avant son adhésion à l’assurance, d’un rhumatisme articulaire. La cour d’appel avait interprété la notion d’incapacité pour conclure finalement à l’application de la clause d’exclusion à la situation de l’assuré. Sa décision est cassée.

            Toute interprétation de la clause est désormais interdite puisque le simple constat, par les juges du fond, qu’une interprétation est nécessaire doit les conduire à invalider la clause litigieuse.

            Dans le même sens : Cass. 2e civ., 8 oct. 2009, n°08-19646 : Bull. civ. II, n°237 ; Resp. civ. et assur. 2010, comm. 28. – Cass. 2e civ., 12 avr. 2012 : RGDA 2012, p. 1027, note J. Bigot. – Cass. 1re civ., 18 juin 2014, n°12-27959 : RGDA2014, p. 438, note M. Asselain. –  Cass. 2e civ., 16 juill. 2020, n° 19-15676 : LEDA oct. 2020, p. 2, obs. S. Abravanel-Jolly ; RGDA août-sept. 2020, p. 20, note A. Pélissier.

            Nota : Le moyen tiré du défaut de caractère formel et limité de la clause d’exclusion (dès lors que celle-ci nécessite une interprétation) est un moyen mélangé de fait et de droit. En conséquence, il ne peut pas être soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation (V. par ex. : Cass. 2e civ., 20 nov. 2014 : RGDA janv. 2015, p. 12, note A. Pélissier. – Cass. 3e civ., 16 déc. 2014 : RGDA févr. 2015, p. 112, note M. Asselain. – Cass. 2e civ., 16 juill. 2020, n° 19-15676 : RGDA août-sept. 2020, p. 20, note A. Pélissier).

2 – Précision de l’exclusion

            Une exclusion n’est précise que si elle délimite de façon nette et rigoureuse le champ dans lequel la garantie n’est pas due.

            Lorsque la clause recourt à un critère pour déterminer ce qui est exclu, ce critère doit être précis. Il en résulte que les clauses qui se réfèrent à des notions vagues ne peuvent pas être validées au regard de l’article L. 113-1 du Code des assurances.

            – Par exemple, n’est pas valide la clause qui exclut les dommages résultant d’une faute inexcusable (Cass. 1re civ., 8 oct. 1974 : D. 1975, p. 513, note Cl.-J Berr et H. Groutel) ou d’une faute lourde de l’assuré (Cass. 1re civ., 29 nov. 1988 : D. 1989, somm. p. 248, obs. Cl.-J Berr et H. Groutel) ;

            – N’est pas valide non plus, la clause qui exclut de la garantie les travaux qui n’ont pas été exécutés selon « les règles en vigueur » (Cass. 1re civ., 10 déc. 1991 : Resp. civ. et assur. 1992, comm. 110. – Cass. 2e civ., 13 juill. 2006 : Resp. civ. et assur. 2006, comm. 284. – Cass. 2e civ., 2 oct. 2008 : Resp. civ. et assur. 2009, étude 6, M. Asselain) ou qui ne sont pas conformes « aux règles de l’art » (Cass. 1re civ., 3 févr. 1993 : Resp. civ. et assur. 1993, comm. 177 et chron. 15, H. Groutel) ou encore les travaux effectués « avec des matériaux ou à l’aide de système de construction non traditionnels » (Cass. 3e civ., 21 févr. 1990 : Bull. civ. III, n°51) ;

            – L’assurance contre le vol offre également de nombreux exemples de clauses invalides au regard de l’article L. 113-1 du Code des assurances en raison de leur imprécision. Il en va ainsi de la clause qui exclut « les valeurs », sans autre précision (Cass. 1re civ., 4 juill. 2000 : RGDA 2000, p. 925, note J. Kullmann) ; de la clause qui écarte la garantie vol lorsque « l’assuré n’a pas pris toutes les précautions habituelles et raisonnables pour la conservation des biens assurés » (Cass. 1re civ., 16 juin 1987 : Bull. civ. I, n°194 ; en l’espèce une dame part au marché en emportant avec elle, glissée dans son sac à main, une bague de valeur. Son sac est volé et l’assureur lui oppose la clause) ;

            – Dans le domaine des assurances de responsabilité professionnelle, on trouve fréquemment une clause qui exclut « les dommages qui sont la conséquence inévitable et prévisible des modalités d’exécution du travail choisies par l’assuré ». La jurisprudence l’invalide en raison de son imprécision (Cass. 1re civ. 9 mai 1979 : Bull. civ. I, n°137. – Cass. 1re civ., 13 mars 1996 : Resp. civ. et assur. 1996, comm. 187. – Cass. 1re civ., 15 déc. 1999 : Resp. civ. et assur. 2000, comm. 104, 1re esp., H. Groutel. – Cass. 3e civ., 3 déc. 2020, n° 19-20790 : n’est ni formelle, ni limitée la clause excluant « les dommages qui n’ont pas de caractère aléatoire parce qu’ils résultent de façon prévisible et inéluctable, pour un professionnel normalement compétent dans les activités assurées, de la conception des travaux ou de leurs modalités d’exécution telles qu’elles ont été arrêtées ou acceptées par vous »).

            Remarque : la solution est exacte juridiquement (puisque la clause est trop vague). Cependant, on comprend que l’assureur n’entende pas prendre en charge ces dommages qui résultent d’un comportement tellement imprudent ou négligent de l’assuré que leur caractère aléatoire est pratiquement inexistant (ex. : artisan qui travaille mal, sciemment, pour gagner du temps et/ou de l’argent avec l’idée que si un dommage en résulte pour son client, l’assureur couvrira…).

            – Signalons, pour finir (mais notre liste n’est pas exhaustive), une exclusion également jugée invalide, mais que l’on rencontre quasi-systématiquement dans les polices souscrites par les propriétaires immobiliers (ou les copropriétés). Cette clause exclut « les dommages ayant pour origine un défaut d’entretien ou de réparation incombant à l’assuré, caractérisé et connu de lui ». Cette clause, comme celle que l’on vient d’évoquer, vise à libérer l’assureur dans les hypothèses où l’attitude de l’assuré, en l’occurrence une inertie coupable caractérisant une faute volontaire d’abstention, a rendu inéluctable la survenance du dommage. Là encore la volonté de l’assureur d’exclure ce type de sinistres du champ de la garantie semble légitime. Cependant, inlassablement, depuis plus de trente ans, la Cour de cassation répète que cette exclusion des dommages causés par un défaut d’entretien ne présente pas le caractère « formel et limité » qui conditionne sa validité au regard de l’article L. 113-1 du Code des assurances, dès lors qu’elle « ne se réfère pas à des critères précis et à des hypothèses limitativement énumérées » (Cass. 1re civ., 29 oct. 1984, n°83-14464 : Bull. civ. I, n° 283 ; RD imm. 1985, p. 275, note G. Durry. – Cass. 2e civ., 6 oct. 2011, n°10-10001 : Bull. civ. II, n° 182 ; RGDA 2012, p. 327, note B. Waltz ; Resp. civ. et assur. 2012, comm. 26. – Cass. 3e civ., 26 sept. 2012, n°11-19117 : Bull. civ. III, n° 130 ; RGDA2013, p. 52, note M. Asselain ; Resp. civ. et assur. 2012, comm. 362, note H. Groutel. – Cass. 3e civ., 12 nov. 2020, n° 19-17954. – Cass. 2e civ., 26 nov. 2020, n° 19-20509) ou que « la police ne définit pas les notions de défaut d’entretien et de réparations indispensables » (Cass. 1re civ., 30 sept. 1997, n°95-18746 : RGDA 1997, p. 1017, note A. Favre Rochex ; Resp. civ. et assur. 1997, comm. 383, note H. Groutel. – Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n°11-22412 : RGDA 2013, p. 302, note M. Asselain. – Cass. 3e civ., 9 avr. 2013, n°11-18212 : RGDA 2013, p. 868, note M. Asselain. – Cass. 2e civ., 12 déc. 2013, n°12-29862 et n°12-25777 : RGDA janv. 2014, p. 30, note M. Asselain. – Cass. 2e civ., 5 févr. 2015, n°14-10507 : Resp. civ. et assur. 2015, comm. 163, H. Groutel ; LEDA mars 2015, p. 2, n° 34, F. Patris).

            Remarque : Le seul moyen, pour l’assureur, de se libérer dans ces circonstances est de faire appel à la notion de faute « dolosive » (caractérisée dès lors que l’assuré a délibérément adopté un comportement – actif ou passif – avec la conscience qu’un dommage résulterait immanquablement de son attitude fautive). La Chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi libéré l’assureur en relevant l’absence de caractère aléatoire du sinistre consistant en l’effondrement d’un plancher dans des circonstances qui révélaient que le propriétaire était parfaitement informé de l’état de vétusté du plancher en question et n’avait rien fait pour y remédier. Cass. com., 11 mai 2017, n°15-29065 : RGDA juill. 2017, p. 411, note M. Asselain : « Mais attendu, d’une part, qu’ayant constaté, par motifs propres et adoptés, qu’en raison d’un sinistre survenu trois ans auparavant, M. Y. connaissait depuis lors l’état de vétusté des planchers, lesquels nécessitaient une réfection qu’il n’avait pas effectuée, et relevé que le contrat d’assurance qu’il avait souscrit auprès de la société Axa stipulait que les dommages, ayant pour origine un défaut d’entretien ou de réparation incombant à l’assuré, caractérisé et connu de lui, n’entraient pas dans l’objet ni dans la nature du contrat, la cour d’appel en a exactement déduit qu’eu égard aux manquements antérieurs au sinistre de M. Y., qui caractérisaient l’absence d’aléa, les conditions de mise en œuvre de garantie de la police n’étaient pas réunies ». V. également, Cass. 2e  civ., 25 oct. 2018, n° 16-23.103 : Resp. civ. et assur. janv. 2019, comm. 32, Rep. 1, H. Groutel. En l’espèce, quatre personnes étaient, chacune, propriétaire d’une partie d’une grange, laquelle s’effondra. L’une de ces quatre personnes fut jugée entièrement responsable de l’effondrement et condamnée à indemniser les trois autres. Mais son assureur de responsabilité, appelé en garantie par elle, fut mis hors de cause par la cour d’appel. La deuxième Chambre civile rejette le pourvoi. Des expertises avaient permis de constater que l’effondrement résultait de la gravité des désordres affectant la grange en sa partie appartenant au propriétaire mis en cause. Trois lettres de mise en garde avaient été adressées par les autres propriétaires, étalées sur deux années et demie, pour attirer son attention sur l’urgence de faire procéder à des réparations. La cour d’appel avait considéré que l’intéressé ne pouvait ignorer qu’en l’absence de travaux de consolidation, la couverture de sa partie de grange était vouée à un effondrement certain à brève échéance et que pourtant celui-ci était demeuré sans réaction. Voici ce que l’on peut lire dans l’arrêt qui rejette le pourvoi : « la cour d’appel, qui, dans l’exercice de son pouvoir souverain, a retenu que la persistance de M. L. dans sa décision de ne pas entretenir la couverture de son immeuble manifestait son choix délibéré d’attendre l’effondrement de celle-ci, a pu en déduire qu’un tel choix, qui avait pour effet de rendre inéluctable la réalisation du dommage et de faire disparaître l’aléa attaché à la couverture du risque, constituait une faute dolosive excluant la garantie de l’assureur et a légalement justifié sa décision ».

            Remarque : Le contentieux relatif à la nullité des exclusions en raison d’un défaut de précision de la clause est alimenté par le fait, notamment, que ce qui est suffisamment précis pour les uns ne l’est pas nécessairement pour les autres. Un arrêt du 31 mars 2022 en offre une illustration. En l’espèce, les juges du fond avaient accepté de faire application de la clause excluant la garantie des incapacités « résultant d’affections neuro-psychiatriques ou neuro-psychiques », au motif que « cette clause d’exclusion est rédigée en termes clairs et dénués d’ambiguïté, ne nécessitant aucune interprétation, en ce qu’elle n’exclut de la garantie que les affections mentales, quelles qu’elles soient, par opposition aux affections physiologiques ». La cassation est prononcée : pour les magistrats de la 2ème Chambre civile l’exclusion litigieuse « visant les affections neuro-psychiatriques ou neuro-psychiques, sans autre précision, [est] nulle, à défaut d’être formelle et limitée » (Cass. 2e civ., 31 mars 2022, n° 20-18496 : LEDA juin 2022, p. 2, obs. M. Asselain).

            Remarque : Certaines clauses d’exclusion combinent un critère imprécis qu’elles assortissent d’exemples sous forme de liste. Ex. : exclusion des travaux non conformes aux règles en vigueur, notamment aux normes françaises homologuées et au cahier des charges DTU (Document technique unifié). En présence de ce type de clauses, la jurisprudence opérait, jadis, de façon nuancée : si les exemples donnés étaient suffisamment précis, l’exclusion jouait si l’assuré s’était placé dans la situation visée par l’exemple en question, mais l’exclusion était écartée dans le cas contraire. V. Cass. 1re civ., 10 déc. 1996 : RGDA 1997, p. 126, note J. Kullmann. En l’espèce, une police multirisques-habitation excluait du champ de la garantie vol, les sinistres « résultant d’une négligence de l’assuré, notamment dans le cas de clés laissées dans la boite aux lettres, sur la porte ou tout autre endroit aisément accessible de l’extérieur ». Pareille exclusion aurait joué sans problème en cas de vol perpétré alors que les clés étaient dans la boite aux lettres. En revanche, les clés ayant, en l’occurrence, été laissées dans le coffre d’une moto garée devant l’habitation de l’assuré, l’exclusion fut écartée, les termes « tout autre endroit aisément accessible de l’extérieur » étant trop vagues pour permettre la mise en œuvre de l’exclusion en dehors des deux cas précisément visés par la clause. V. également Cass. 2e civ., 24 sept. 2020, n° 19-19483 : LEDA nov. 2020, note M. Asselain : En l’espèce un emprunteur, victime d’un infarctus ayant engendré une dépression nerveuse, laquelle était à l’origine de son incapacité de travail, s’était vu opposer par l’assureur la clause excluant de la garantie les « conséquences […] des affections neurologiques […], des dépressions nerveuses ou autre(s) trouble(s) psychique(s) ». Le pourvoi formé contre la décision des juges du fond qui avaient validé la clause est rejeté par la Cour de cassation, laquelle prend bien soin de relever que l’application de la clause litigieuse est justifiée en présence d’une dépression nerveuse, ce qui n’aurait pas été le cas si l’assureur avait invoqué un ou des « autre(s) trouble(s) psychique(s) », également visés par la clause.

            La Cour de cassation a cependant opéré un revirement de jurisprudence avec un arrêt émanant de la 2èmeChambre civile en date du 17 juin 2021 (Cass. 2e civ., 17 juin 2021, n° 19-24467 : RGDA juill. 2021, p. 30, note J. Kullmann). En l’espèce, la clause litigieuse (insérée dans une police d’assurance emprunteur) excluait la prise en charge « des incapacités et invalidités (qu’elles soient temporaires, permanentes, définitives et/ou absolues) qui résultent de lombalgie, de sciatalgie, dorsalgie, cervicalgie et autre mal de dos ». Conformément à la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation, les juges d’appel avaient accepté de faire jouer l’exclusion en présence d’un assuré dont l’invalidité résultait d’une sciatalgie, après avoir relevé que, « une fois expurgée de cette expression [« et autre mal de dos »] maladroite et imprécise inopposable à l’assuré, la clause redevient parfaitement claire, formelle et limitée ». La décision des juges du fond est censurée, la Cour de cassation estimant que la « clause d’exclusion de garantie, dès lors qu’elle mentionne : “et autre « mal de dos” n’est pas formelle et limitée et ne peut recevoir application, peu important que l’affection dont est atteint [l’assuré] soit l’une de celles précisément énumérées à la clause ». Il résulte de cet arrêt que, si, dans une clause qui énumère diverses exclusions, l’une d’elles est non formelle et/ou non limitée, ce vice et sa sanction s’étendent à toutes celles qui sont pourtant conformes aux exigences de l’article L. 113-1 du Code des assurances. En d’autres termes, la clause doit être invalidée dans sa totalité, y compris dans ses dispositions claires, précises et limitées.

            Cette solution a été confirmée par un arrêt du 31 mars 2022. En l’espèce, la cour d’appel, confrontée à une clause excluant la prise en charge des « incapacités résultant des affections psychiques (y compris les dépressions nerveuses) » avait estimé que le critère retenu (le trouble psychique) était imprécis, mais l’exemple visé (la dépression nerveuse) suffisamment précis et dépourvu d’équivoque pour que la clause fût opposée à un assuré placé en arrêt de travail en raison d’un état dépressif médicalement constaté. En dépit d’une appréciation convergente de la clarté partielle de la clause, les juges du fond sont censurés. La deuxième chambre civile confirme ainsi que l’imprécision, même circonscrite à certains termes de la stipulation, emporte annulation de la clause dans son entier (Cass. 2e civ., 31 mars 2022, n° 19-24847 : LEDAjuin 2022, p. 2, obs. M. Asselain).

B – Caractère limité de l’exclusion

            Longtemps la jurisprudence n’a opéré aucune distinction entre le caractère formel et le caractère limité de l’exclusion. Elle estimait, de façon globale, que la clause répondait aux exigences de l’article L. 113-1 du Code des assurances dès lors qu’elle était claire, précise et permettait en conséquence à l’assuré de savoir exactement dans quelles circonstances il n’était pas garanti. C’est un arrêt du 18 février 1987 qui donna son autonomie au caractère « limité » en en formulant une nouvelle définition. La première Chambre civile estima alors que « n’est pas limitée la clause qui annule pratiquement toutes les garanties prévues par le contrat » (Cass. 1re civ., 18 févr. 1987 : Bull. civ. I, n° 55 ; RGAT1987, p. 271, note R. Bout). Un arrêt du 23 juin 1987 confirma cette nouvelle interprétation en décidant « qu’une exclusion ne saurait aboutir, sans retirer son objet au contrat, à annuler dans sa totalité la garantie stipulée » (Cass. 1reciv., 23 juin 1987 : Bull. civ. I, n° 202 ; RGAT 1988, p. 364, note R. Bout).

            Cette jurisprudence est parfaitement justifiée. Il est évident que l’on ne saurait permettre à l’assureur de percevoir une prime sans fournir aucune contrepartie, ce qui est le cas lorsque les exclusions, par leur nombre ou leur étendue, font disparaître la garantie prétendument fournie par le contrat.

            Un arrêt du 9 février 2023, rendu par la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation, en offre une illustration. En l’espèce une société, spécialisée dans la fabrication de feux d’artifice, avait souscrit une assurance de biens couvrant ses locaux et les éventuelles pertes d’exploitation liées à un endommagement desdits locaux. Etait couvert, entre autres risques (incendie, dégâts des eaux, etc.), le risque d’explosion. La police comportait cependant une clause excluant de la garantie les « dommages matériels mais aussi les pertes d’exploitation lorsque la cause du sinistre est une explosion d’explosifs ou de produits assimilés ». Curieusement, les juges du fond avaient jugé la clause valable au motif que la garantie n’était pas réduite à néant, puisqu’elle pouvait être sollicitée en cas de dommages résultant de la survenance d’autres risques que l’explosion (comme l’incendie ou un dégât des eaux). La décision d’appel est censurée (à juste titre). La deuxième Chambre civile commence par rappeler que « Une clause d’exclusion n’est pas limitée lorsqu’elle vide la garantie de sa substance, en ce qu’après son application elle ne laisse subsister qu’une garantie dérisoire » ; et précise que « le caractère limité de la clause d’exclusion litigieuse devait être apprécié en considération de la garantie « explosion » souscrite par l’assurée, et non au regard de l’ensemble des garanties visées au contrat d’assurance » (Cass. 2e civ., 9 févr. 2023, n°21-18067).

            Remarque : il est parfois difficile d’apprécier dans quelle mesure l’exclusion litigieuse fait ou non disparaître en totalité (ou quasi-totalité) la garantie prétendument fournie par le contrat. Ainsi, la clause d’exclusion des pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d’épidémie (la « clause-Covid ») a fait l’objet d’analyses divergentes. Les contrats litigieux énonçaient que « la garantie est étendue aux pertes d’exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l’établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :

  1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous-même ;
  2. La décision de fermeture est la conséquence d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication». Mais cette garantie était assortie d’une exclusion des « pertes d’exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique ». Pour les juges du fond (V., notamment, CA Aix-en-Provence, 25 févr. 2021, n° 20/10357), pareille exclusion vide la garantie des pertes d’exploitation consécutive à une épidémie de toute substance, puisqu’on ne peut imaginer qu’une décision de fermeture administrative motivée par une épidémie ne concerne qu’un seul établissement dans tout le département, celui de l’assuré (or, selon les termes de la police, la garantie « épidémie » ne pouvait jouer que dans ce cas de figure, c’est-à-dire jamais, car, par définition, on ne peut parler « d’épidémie » qu’en cas  « d’apparition et propagation d’une maladie infectieuse contagieuse qui frappe en même temps et en un même endroit un grand nombre de personnes » (Larousse). Mais la Cour de cassation a retenu une analyse différente : « En statuant ainsi, alors que la garantie couvrait le risque de pertes d’exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication, de sorte que l’exclusion considérée, qui laissait dans le champ de la garantie les pertes d’exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d’autres circonstances que celles prévues par la clause d’exclusion, n’avait pas pour effet de vider la garantie de sa substance, la cour d’appel a violé le texte susvisé» (Cass. 2eciv., 19 janv. 2023, n°21-21516 et n°21-23189).

Maud Asselain

WordPress Appliance - Powered by TurnKey Linux