Modalités et charge de l’indemnisation des désordres de construction réservés à la réception

Le maître de l’ouvrage dispose de plusieurs voix lui permettant d’obtenir la réparation des désordres au sujet desquels il a émis des réserves lors de la réception des travaux ; il a notamment la possibilité de solliciter la garantie de son assureur dommages-ouvrage. La garantie de l’assureur de responsabilité décennale ne pouvant être actionnée en présence de pareils dommages, la charge définitive de leur indemnisationrepose sur l’entrepreneur à l’origine des malfaçons, à moins qu’il n’ait souscrit des garanties d’assurance facultatives.

1. Il arrive qu’à l’issue du chantier la réception de l’ouvrage intervienne alors que celui-ci est atteint de désordres apparents. Si le maître de l’ouvrage s’abstient, lors de cette réception, d’exprimer sa volonté d’une reprise des malfaçons dont il a pu apprécier l’existence, il est réputé (irréfragablement) avoir renoncé à leur indemnisation, de sorte qu’aucune action en réparation ne lui sera ouverte, que ce soit sur le fondement de la responsabilité spéciale des constructeurs ou sur celui de la responsabilité de droit commun. Si, inversement, le maître de l’ouvrage a émis des réserves, il est en droit d’obtenir la réparation des désordres qu’il a pris soin de mentionner lors de la réception.

2. Si plusieurs voix sont ouvertes au maître de l’ouvrage pour obtenir la réparation de ces désordres réservés  (I), leur prise en charge définitive incombe toujours au constructeur auquel les désordres sont imputables, ainsi qu’à son assureur de responsabilité, sous réserve que les garanties idoines aient été souscrites (II).

I. Les modalités de réparation des désordres réservés

3. Les désordres visés par les réserves peuvent être de toute nature – malfaçons, non-façons, défauts de conformité aux prescriptions contractuelles – et de gravité très variable ;  le vice dénoncé peut ainsi compromettre la solidité de la construction ou rendre celle-ci impropre à sa destination comme n’avoir qu’une importance mineure limitée, par exemple, à l’aspect esthétique de l’ouvrage.

4. Sous certaines conditions, le maitre de l’ouvrage peut obtenir la réparation de ces désordres par la mise en œuvre de la garantie de son assureur dommages-ouvrage (A) ou de la garantie de parfait achèvement due par le constructeur à l’origine des désordres (B) ou encore par le biais d’une action en responsabilité dirigée contre ce dernier (C).

A. Mise en œuvre de la garantie de l’assureur dommages-ouvrage

5. Une jurisprudence constante admet que le propriétaire de l’ouvrage peut solliciter la garantie de son assureur dommages-ouvrage en vue d’obtenir une indemnité permettant la réparation des désordres réservés à la réception (Cass. 3e civ., 23 avr. 1986, n°84-15559. – Cass. 1re civ., 4 juin 1991, n°89-16060 : Bull. civ., I, n° 176 ; RGAT 1991, p. 591, note J. Bigot ;. – Cass. 1re civ., 17 nov. 1993, n°91-20535. – Cass. 3e civ., 5 janv. 1994, n° 92-10649 : RGAT 1994, p. 554, note A. d’Hauteville. – Cass. 1re civ., 19 janv. 1994, n° 90-21747 : RGAT 1994, p. 562, note H. Périnet-Marquet. – Cass. 3e civ., 18 déc. 2002, n° 01-12667 : Resp. civ. et assur. 2003, comm. 80 ; RD imm. 2003, p. 145, obs. P. Dessuet. – Cass. 3e civ., 1er décembre 2009, 08-14.620 : RD imm. 2010, p. 171, note P. Dessuet). 

6. La mise en œuvre de cette garantie d’assurance est fondée sur l’article L. 242-1 du Code des assurances, lequel énonce d’une part, que l’assurance dommages-ouvrage garantit « en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l’article 1792 du code civil » (al. 1) ; d’autre part que cette assurance « garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque […], après la réception, après mise en demeure restée infructueuse, l’entrepreneur n’a pas exécuté ses obligations » (al. 10).

Il en résulte que la prise en charge des désordres réservés par l’assureur dommages-ouvrage est subordonnée à la réunion de deux conditions :

– les désordres doivent être de nature décennale, c’est-à-dire compromettre la solidité de l’ouvrage ou le rendre impropre à sa destination (C. civ., art. 1792) ;

– une mise en demeure, restée infructueuse, de reprendre les dommages objets de réserves a été adressée par le maître de l’ouvrage à l’entreprise à laquelle les désordres sont imputables.

B. Mise en œuvre de la garantie de parfait achèvement

7. L’article 1792-6, alinéa 2, du Code civil énonce que « la garantie de parfait achèvement, à laquelle l’entrepreneur est tenu pendant un délai d’un an, à compter de la réception, s’étend à la réparation de tous les désordres signalés par le maître de l’ouvrage […] au moyen de réserves mentionnées au procès-verbal de réception […] ».

La garantie de parfait achèvement permet au maître de l’ouvrage d’obtenir une réparation en nature des désordres réservés, l’entreprise à l’origine de ces derniers étant tenue d’effectuer les travaux de reprise nécessaires pour remédier aux malfaçons, non-façons et défauts de conformité.

Il faut prendre garde que cette garantie ne peut être mise en œuvre au-delà du délai d’un an suivant la réception de l’ouvrage.

Les délais nécessaires à l’exécution des travaux de réparation sont fixés d’un commun accord par le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur concerné (C. civ., art. 1792-6, al. 3 ; en présence d’un marché privé soumis à la norme Afnor P 03-001, l’article 17-2-5-2 de ladite norme prévoit que « l’entrepreneur dispose d’un délai fixé, sauf commun accord, à soixante jours au maximum à compter de la réception du procès-verbal pour exécuter les corrections et les compléments demandés »).

8. À défaut d’accord ou en cas de violation du délai convenu, l’article 1792-6, alinéa 4 a prévu une mesure protectrice des intérêts du maître de l’ouvrage en prescrivant que « les travaux [de reprise des désordres réservés] peuvent, après mise en demeure restée infructueuse, être exécutés aux frais et risques de l’entrepreneur défaillant ». Ce dispositif légal, qui autorise le maître de l’ouvrage à substituer un entrepreneur de son choix à l’entrepreneur défaillant, présente néanmoins l’inconvénient de contraindre le propriétaire de la construction à préfinancer la reprise des désordres, la mise en conformité aux spécificités contractuelles ou la finition des travaux. Le bénéficiaire de la garantie de parfait achèvement est cependant en droit d’assigner le constructeur en référé-expertise aux fins de constatation des désordres dénoncés et de condamnation au versement d’une provision (Cass. 3e civ., 8 juin 1994, n° 91-21.734).

C. Mise en œuvre de la responsabilité contractuelle de droit commun

9. La mise en œuvre de la garantie de parfait achèvement ne s’impose pas au maître de l’ouvrage atteint de désordres réservés. Une jurisprudence constante estime en effet qu’une action en responsabilité contractuelle de droit commun, sur le fondement de l’article 1231-1 du Code civil, demeure ouverte contre l’entrepreneur aux fins d’obtention de sa condamnation au paiement de dommages-intérêts en réparation des désordres réservés (Cass. 3e civ., 10 janv. 1990, n° 88-16112. – Cass. 3e civ., 13 déc. 1995, n° 92-11.637 : Bull. civ. III, n° 255 ; RD imm. 1996, p. 223, note Ph. Malinvaud. – Cass. 3e civ., 28 janv. 1998, n° 96-13460 : Bull. civ. III, n° 19 ; JCP G 1998, I, 187, n° 30, G. Viney ; RD imm. 1998, p. 257, note Ph. Malinvaud.. – Cass. 3e civ., 2 oct. 2001, n° 99-21759 : RD imm. 2002, p. 89, note Ph. Malinvaud).

10. Cette action peut être exercée par le maître de l’ouvrage dans le délai d’un an suivant la réception – alors que la garantie de parfait achèvement est encore en cours – mais également au-delà, jusqu’à expiration du délai de prescription de 10 ans suivant la réception (C. civ., art. 1792-4-3. Cass. 3e civ., 2 oct. 2001, préc. – Cass. 3e civ., 27 janv. 2010, n°08-21085 : Bull. civ. III, n° 20 ; Constr.-Urb. 2010, comm. 42, M.-L. Pagès-de-Varenne). 

11. Le succès de l’action n’est nullement subordonné à la preuve, par le maître de l’ouvrage, d’une faute commise l’entrepreneur, lequel est en effet tenu d’une obligation de résultat, de sorte que le simple constat de la réalité des désordres réservés suffit à l’engagement de sa responsabilité (Cass. 3e civ., 4 janv. 2006, n°04-17651. – Cass. 3e civ., 2 févr. 2017, n° 15-29.420 : Bull. civ. III, n°146 ; Constr.-Urb. 2017, comm. 56, obs. M.-L. Pagès-de-Varenne ; RD imm. 2017, p. 196, obs. Ph. Malinvaud).

II. La prise en charge des réparations des désordres réservés

12. L’entrepreneur auquel les désordres ayant fait l’objet de réserves sont imputables est tenu d’en assumer la réparation (A). La charge de ces réparations, qui ne peut pas être reportée sur l’assureur de responsabilité décennale, peut, en revanche et sous réserve que des garanties facultatives adéquates aient été souscrites, être supportée par l’assureur de responsabilité civile de droit commun de l’entrepreneur (B).

A. L’entrepreneur : débiteur principal des réparations

13. Quelle que soit la voix choisie par le maître de l’ouvrage pour obtenir réparation des désordres réservés, cette réparation incombe à l’entrepreneur qui a failli dans l’exécution du contrat de construction.

Dans l’hypothèse où le maître de l’ouvrage a obtenu son indemnisation de l’assureur dommages-ouvrage (cf supra n° 5), l’entrepreneur s’expose au recours subrogatoire de cet assureur. L’article L. 121-12 du Code des assurances ouvre en effet à l’assureur de biens un recours en remboursement de l’indemnité versée contre « les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage » ayant provoqué la mise en œuvre de la garantie. 

Dans l’hypothèse où le maître de l’ouvrage opte pour la mise en œuvre de la garantie de parfait achèvement, là encore, le coût de la réparation incombera à l’entrepreneur, qu’il procède lui-même et à ses frais à la reprise des désordres réservés (cf supra n° 7) ou qu’il soit condamné à rembourser au maître de l’ouvrage les sommes acquittées par lui pour faire remédier aux malfaçons par une autre entreprise (cf supra n° 8).

Dans l’hypothèse, enfin, où le maître de l’ouvrage choisit d’exercer une action en responsabilité contractuelle de droit commun (cf supra n° 9), l’entrepreneur sera condamné au paiement de dommages-intérêts d’un montant équivalent au coût de reprise des désordres réservés. 

B. Le report du coût des réparations sur un assureur de responsabilité

14. Les désordres réservés à la réception n’entrent pas dans le champ de la garantie obligatoire des constructeurs, de sorte qu’il est exclu de reporter la charge de l’indemnisation du maître de l’ouvrage sur l’assureur de responsabilité décennale (1°/). En revanche, l’assureur qui couvre la responsabilité civile de droit commun de l’entrepreneur peut, éventuellement, être sollicité (2°/).

1°/ L’impossible report du coût des réparations sur l’assureur de responsabilité décennale

15. La jurisprudence estime que les dommages ayant fait l’objet de réserves lors de la réception de l’ouvrage ne relèvent pas de la garantie décennale des constructeurs établie par l’article 1792 du Code civil (Cass. 1re civ., 1er févr. 1989 : D. 1989, inf. rap. p. 44. – Cass. 3e civ., 25 oct. 1989 : RGAT 1990, p. 150, note A. d’Hauteville. – Cass. 3e civ., 6 déc. 1989 : Bull. civ. III, n°224 ; RGAT 1990, p. 147, note A. d’Hauteville. – Cass. 3e civ., 10 janv. 1990 : RGAT 1990, p. 148, note A. d’Hauteville. – Cass. 3e civ., 11 févr. 1998, n° 95-18401 : Bull. civ., III, n° 29). 

Il en résulte très logiquement que la garantie de l’assureur de responsabilité décennale ne peut pas être sollicitée pour la prise en charge des désordres réservés, puisque ces derniers n’engagent pas la responsabilité de plein droit de l’assuré, seule couverte par la police (Cass. 1re civ., 3 févr. 1993 : RGAT 1993, p. 305, note J. Bigot. – Cass. 3e civ., 17 févr. 1999, n° 97-14145 : RGDA 1999, p. 642, note H. Périnet-Marquet : « les dommages ayant fait l’objet de réserves lors de la réception ne sont pas couverts par l’assurance obligatoire de responsabilité décennale du constructeur ». – Cass. 3e civ., 2 févr. 2005, n° 03-16724).

2°/ Mise en œuvre éventuelle de garanties d’assurance facultatives

16. La garantie obligatoire d’assurance de responsabilité décennale ne pouvant être mise en œuvre en présence de désordres réservés, ces derniers ne peuvent être couverts que par des garanties facultatives que l’entrepreneur aura eu la prudence de souscrire.

Si une assurance couvrant la responsabilité de droit commun encourue par l’entrepreneur (notamment une police « RC après travaux ») a été souscrite, les conséquences pécuniaires de l’engagement de la responsabilité contractuelle de l’assuré pourront, a priori, être prises en charge par l’assureur. 

Ce type de police exclut cependant très fréquemment du champ de la garantie « les dommages matériels ou immatériels résultant de l’inexécution des obligations de faire ou de délivrance par l’assuré », de sorte que les dommages ayant fait l’objet de réserves en raison du défaut de réalisation des prestations promises ou de la non-conformité des travaux exécutés aux prévisions du contrat de construction ne seront pas couverts.

Sont pareillement couramment exclus du domaine de la garantie « les frais engagés pour réparer, parachever ou refaire le travail », de sorte que les coûts résultant, pour l’entrepreneur, de la mise en œuvre de la garantie de parfait achèvement ne seront pas non plus pris en charge par l’assureur.

Si ces exclusions sont stipulées, la garantie de l’assureur ne sera acquise que dans l’hypothèse où la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entrepreneur résulte d’une malfaçon signalée lors de la réception. 

En définitive, la délimitation de l’étendue des garanties dans ce type d’assurance – dont la souscription est facultative – relevant de la liberté contractuelle, seule une lecture attentive de la police permet de déterminer si le constructeur bénéficie ou non d’une couverture d’assurance des dommages réservés à la réception. 

On ne saurait en conséquence que recommander aux entrepreneurs de s’enquérir de l’étendue exacte de leur assurance, afin, le cas échéant, de négocier une extension des garanties aux désordres réservés.

Pour en savoir plus

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006443502/

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000031010281/

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000019265425/

https://www.village-justice.com/articles/Contrat-entreprise,11862.html

 

Photo : Pixabay

Un article signé, Maud Asselain, Maître de conférences en Droit privé, Directrice de l’Institut des Assurances de Bordeaux pour Alteas.

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