Les responsabilités encourues par les fabricants et fournisseurs de produits de construction.

La défectuosité d’un matériau ou d’un composant utilisé dans le cadre d’une opération de construction est susceptible d’engager la responsabilité du fabricant et du fournisseur de l’élément défaillant.

Les fabricants et fournisseurs de matériaux de construction s’exposent, selon les circonstances, à trois types de responsabilités : la responsabilité spécifique des constructeurs (I), la responsabilité civile de droit commun (II) et la responsabilité du fait des produits défectueux (III).

I. Responsabilité spécifique des constructeurs encourue par les fabricants d’EPERS

L’article 1792-4 du Code civil énonce que « le fabricant d’un ouvrage, d’une partie d’ouvrage ou d’un élément d’équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-1, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d’ouvrage qui a mis en œuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l’ouvrage, la partie d’ouvrage ou élément d’équipement considéré ». 

Ce texte étend aux fabricants d’EPERS (Elément Pouvant Entrainer la Responsabilité Solidaire) la garantie décennale, ainsi que la garantie de bon fonctionnement dont les constructeurs sont débiteurs sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code civil, sous réserve de la réunion des conditions suivantes :

– seul le fabricant, auquel sont assimilés l’importateur et le distributeur qui s’attribue la paternité de l’élément « en faisant figurer sur lui son nom, sa marque de fabrique ou tout autre signe distinctif » (C. civ., art. 1792-4, al. 2), encourt cette responsabilité et non le simple fournisseur-vendeur ;  

– cette responsabilité spécifique ne joue que dans les rapports entre le fabricant (et assimilés) et le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage. Elle est sans application dans les rapports entre les fabricants et les entrepreneurs.

– elle suppose l’existence d’un contrat de louage d’ouvrage entre le maître et un entrepreneur en vue de la mise en œuvre de l’élément considéré. Un particulier qui achète des matériaux pour les mettre lui-même en œuvre ne peut pas se prévaloir de cette responsabilité.

– l’élément susceptible d’entrainer cette responsabilité spécifique doit correspondre à la définition de l’EPERS, ce qui suppose que :

– l’élément d’équipement en question n’a pas pour fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage (C. civ., art. 1792-7) ;

– l’élément d’équipement a été spécialement conçu et produit pour être intégré à l’ouvrage et répondre aux besoins précis du bâtiment en cause (Cass. 3e civ., 11 janv. 2012, n° 10-15387. – Cass. 3e civ. 7 janv. 2016, n° 14-17033), par opposition aux éléments standards, vendus sur catalogue et fabriqués en série ; 

– l’élément d’équipement a été conçu et produit pour être « en état de service », sa mise en œuvre nécessitant tout au plus quelques ajustements, mais non sa modification par l’entrepreneur-poseur (nota : la responsabilité du fabricant est écartée si l’entrepreneur ne s’est pas conformé, pour l’installation de l’élément, aux directives édictées par le fabricant : Cass. 3e civ., 17 juin 1998, n° 95-20841).

– la responsabilité du fabricant d’EPERS est une responsabilité solidaire ; elle suppose que la responsabilité de l’entrepreneur qui a procédé à la pose de l’élément soit elle-même engagée sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code civil.

Lorsque ces différentes conditions sont réunies, le fabricant d’EPERS est débiteur de la garantie décennale et de la garantie de fonctionnement et se trouve en conséquence tenu d’indemniser le maitre de l’ouvrage (et les acquéreurs successifs) des désordres portant atteinte à la solidité de l’ouvrage ou qui rendent celui-ci impropre à sa destination, ainsi que des désordres affectant le fonctionnement de l’élément d’équipement dissociable qu’il a conçu.

II. Responsabilité de droit commun encourue par les fabricants et fournisseurs d’éléments et produits de construction

Relèvent du régime de droit commun de la responsabilité :

• la responsabilité des fabricants et fournisseurs à l’égard de l’entrepreneur acheteur du matériau ;

• la responsabilité à l’égard du maître de l’ouvrage : 

– des fabricants de matériaux et composants autres que les EPERS ;

– des fabricants d’éléments d’équipement, « dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage » (C. civ., art. 1792-7) ;

– des fournisseurs de matériaux et composants, y compris les EPERS.

En leur qualité de vendeur professionnel, le fabricant et le fournisseur sont débiteurs d’une obligation de conseil à l’égard de leurs clients, ce qui les contraint, en présence d’un acheteur profane, à « se renseigner sur les besoins de l’acheteur afin d’être en mesure de l’informer quant à l’adéquation de la chose proposée à l’utilisation qui en est prévue » (Cass. 1re civ., 28 oct. 2010, n° 09-16913) et, en présence d’un acheteur « professionnel de la construction », à rechercher si ce professionnel dispose de la compétence nécessaire pour apprécier la qualité du matériau livré et son adaptation aux contraintes de l’ouvrage à édifier (Cass. 3e civ., 13 oct. 2016, n° 15-20079). Le manquement à cette obligation engage la responsabilité de droit commun du fabricant et du fournisseur du produit.

En qualité de vendeurs, ces mêmes professionnels sont débiteurs d’une obligation de délivrance conforme, ainsi que de la garantie des vices cachés. En cas de non-conformité du produit vendu aux spécifications contractuelles, ils seront tenus, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, d’indemniser l’acquéreur (C. civ., art. 1231-1). Cette action se prescrit par cinq ans à compter du jour où l’acquéreur a connu ou aurait dû connaître le défaut de conformité (C. civ., art. 2224). Lorsqu’un vice caché rend le produit impropre à l’usage auquel il est destiné, le fabricant, ainsi que le distributeur, s’expose à l’action en garantie prévue par les articles 1641 et suivants du Code civil, laquelle doit être exercée dans le délai de deux ans suivant la découverte du vice (C. civ., art. 1648) et conduit soit à la résolution de la vente, soit à une réduction de prix (C. civ., art. 1644).

III. Responsabilité du fait des produits défectueux des fabricants et fournisseurs

Les articles 1245 à 1245-17 du Code civil instituent une responsabilité spécifique à la charge des producteurs en cas de dommages causés par un « défaut de sécurité » de leur produit, lequel se définit comme « tout bien meuble, même s’il est incorporé dans un immeuble » (C. civ., art. 1245-2).

Est considéré comme producteur, lorsqu’il agit à titre professionnel, le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première, le fabricant d’une partie composante, ainsi que l’importateur du produit et celui qui s’en attribue la paternité « en apposant sur [celui-ci] son nom, sa marque ou un autre signe distinctif » (C. civ., art. 1245-5).

A l’exception des fabricants d’EPERS, lesquels sont expressément écartés du champ d’application de cette responsabilité spéciale (C. civ., art. 1245-5, al. dernier), le fabricant d’un matériau de construction (ou d’un élément d’équipement qui ne peut recevoir la qualification d’EPERS commeles éléments d’équipement à vocation exclusivement professionnelle) peut voir sa responsabilité engagée, qu’il soit ou non lié au maître de l’ouvrage par un contrat, dès lors que le produit « n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre » (C. civ., art. 1245-3).Si le producteur ne peut être identifié, le vendeur ou tout autre fournisseur professionnel, est responsable du défaut de sécurité du produit, dans les mêmes conditions que le producteur, à moins qu’il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée (C. civ., art. 1245-6). Peuvent, par exemple, être considérés comme présentant un défaut de sécurité, les matériaux nocifs pour la santé (par ex. l’amiante, le plomb), les matériaux ou éléments d’équipement dangereux (plaques de façade se détachant, revêtements de sol glissants, appareils électriques mal isolés…) ou encore les matériaux ou éléments d’équipement dont la défaillance entraîne des dommages à l’ouvrage ou à des biens entreposés dans celui-ci

L’action en réparation se prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à laquelle la victime a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l’identité du producteur.

En tout état de cause, la responsabilité du fait des produits défectueux s’éteint au terme d’un délai de dix ans à compter de la date de mise en circulation du produit (ce qui correspond à la date de sa première mise sur le marché).

Nota : cette responsabilité spécifique n’est pas d’application exclusive ; elle n’interdit pas à la victime du défaut du produit de réclamer réparation sur le terrain de la responsabilité contractuelle ou délictuelle de droit commun ou de la garantie des vices cachés, sous réserve qu’elle soit en mesure d’établir une faute du défendeur ou un vice autre que le seul « défaut de sécurité ».

Sources
https://www-dalloz-fr.docelec.u-bordeaux.fr/documentation/Liste?ctxt=0_YSR0MD1yZXNwb25zYWJpbGl0w6kgZGVzIGZhYnJpY2FudHPCp3gkc2Y9c2ltcGxlLXNlYXJjaA%3D%3D

https://www.lemoniteur.fr/article/clarification-du-concours-de-responsabilite-du-fabricant-ou-fournisseur-de-produits-dans-une-operation-de-construction.2041295

 

Un article signé, Maud Asselain, Maître de conférences en Droit privé, Directrice de l’Institut des Assurances de Bordeaux pour Alteas.

Catégorie(s)
WordPress Appliance - Powered by TurnKey Linux