De quels recours dispose le maître de l’ouvrage en cas d’erreur d’implantation ?

           

            Il arrive que les constructeurs commettent une erreur d’implantation de l’ouvrage dont l’édification leur a été confiée. Le maître de l’ouvrage peut obtenir réparation de cette erreur, laquelle engage la responsabilité du locateur d’ouvrage.

            L’erreur d’implantation est caractérisée dès lors que la construction n’a pas été édifiée à l’endroit exact qui avait été convenu dans le contrat liant le maître de l’ouvrage au constructeur. Elle entre en conséquence dans la catégorie des « défauts de conformités » (sous-entendu aux spécifications contractuelles). Selon que ce défaut de conformité entraîne ou non des dommages relevant de la garantie décennale ou de bon fonctionnement, le maître de l’ouvrage peut obtenir réparation en engageant la responsabilité du constructeur sur le fondement des article 1792 et suivants du Code civil (I) ou sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun (II).

I – L’erreur d’implantation entrainant mise en œuvre des garanties spéciales des constructeurs

            Les garanties légales des constructeurs que sont la garantie décennale et la garantie de bon fonctionnement sont d’application exclusive. En d’autres termes, dès lors que leurs conditions d’application sont réunies, le maître de l’ouvrage est tenu de se placer sur le fondement des articles 1792 ou 1792-2 (garantie décennale) ou 1792-3 (garantie de bon fonctionnement) du Code civil et ne saurait invoquer la responsabilité de droit commun. La jurisprudence estime en effet que « même s’ils ont comme origine une non-conformité aux stipulations du contrat, les dommages qui relèvent d’une garantie légale ne peuvent donner lieu, contre les personnes qui y sont tenues, à une action en réparation sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun » (Cass. 3e civ., 13 avr. 1988, n°86-17.824 : Bull. civ. III, n° 67 ; RD imm. 1988, p. 302. – Cass. 3e civ., 12 novembre 2020, n° 19-22.376. – Cass. 3e civ., 8 juill. 2021, n° 19-15.165).

            Il en résulte que, lorsque l’erreur d’implantation a engendré un désordre – révélé postérieurement à la réception des travaux – qui porte atteinte à la solidité de l’ouvrage ou à l’un de ses éléments d’équipement indissociable ou qui rend l’ouvrage impropre à sa destination, ladite erreur d’implantation ouvre droit à la garantie décennale et aux garanties d’assurances obligatoires de responsabilité et dommages-ouvrage. Lorsque l’erreur d’implantation provoque un dysfonctionnement d’un élément d’équipement dissociable, c’est, selon la même logique, la garantie de bon fonctionnement, dont les constructeurs sont débiteurs sur le fondement de l’article 1792-3 du Code civil, qui devra être sollicitée, à l’exclusion de tout autre régime de responsabilité.

Remarque : lorsque l’erreur d’implantation conduit à un empiètement sur un terrain voisin, le propriétaire de ce dernier est en droit d’obtenir la démolition de la partie d’ouvrage qui empiète chez lui, ce qui, selon la jurisprudence, suffit à caractériser une impropriété à destination de l’ouvrage et à emporter, en conséquence, la mise en œuvre de la garantie décennale (Cass. 3e civ., 8 avr. 1987, n° 86-10.161 : RGAT 1987, p. 250, note J. Bigot. – Cass. 3e civ., 27 avr. 1994, n° 92-14.854 : RGAT 1994, p. 820, note H. Périnet Marquet : « ayant relevé que l’erreur d’implantation rendait nécessaire la démolition et la reconstruction, au moins partielle, de l’immeuble, [la cour d’appel] a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision [de retenir la responsabilité décennale du constructeur en raison d’une impropriété à destination] ». Il en va de même lorsque l’erreur d’implantation de l’immeuble résultant d’un défaut de conformité aux règles d’urbanisme nécessite sa démolition et sa reconstruction (Cass. 3e civ., 15 déc. 2004, n° 03-17.876 : RGDA 2005, p. 170, note J.-P. Karila). Dans ces hypothèses, le constructeur et l’assureur de responsabilité décennale de celui-ci ne peuvent pas faire valoir l’absence de vices de construction pour échapper à la mise en œuvre de la garantie légale.

            Les garanties légales ouvrant droit à la réparation intégrale des désordres constatés, le constructeur est tenu au paiement d’une indemnité permettant d’y remédier. Si la démolition de l’ouvrage et sa reconstruction (sans faute d’implantation) s’imposent, l’indemnité de réparation devra couvrir les frais nécessaires à ces opérations. L’assureur RC décennale et l’assureur dommages-ouvrages, dès lors que l’erreur d’implantation a engendré des désordres de nature décennale, sont tenus de prendre en charge « les travaux de réparation des dommages, lesquels « comprennent également les travaux de démolition, déblaiement, dépose ou démontage éventuellement nécessaires » (C. assur., art. 243-1, annexe I et II).

Remarque : L’indemnisation due par le constructeur à l’origine de désordres relevant de la garantie décennale ou de bon fonctionnement doit permettre la réparation des dommages matériels, mais également immatériels. Ainsi et par exemple, les pertes d’exploitation (Cass. 3e civ., 15 janv. 2003, n° 00-16.606 et n° 00-16.453 : Bull. civ. III, n° 5 ; RD imm. 2003, p. 190, Ph. Malinvaud) ou les pertes de loyers (Cass. 3e civ., 21 janv. 2004, n° 00-17.882 : Bull. civ. III, n° 10 ; RGDA 2004, p. 462, J.-P. Karila. – Cass. 3e civ., 5 déc. 2019, n°18-20.181 : Constr.-Urb. 2020, comm. 28, M. L. Pagès-de-Varenne) subis par le maître de l’ouvrage du fait du désordre et de l’impossibilité d’user du bâtiment pendant les travaux de reprise, les frais de relogement ou la construction de bâtiments provisoires pour accueillir l’activité professionnelle qui ne peut plus être exercée dans l’immeuble atteint de désordres sont à la charge du constructeur (Cass. 3e civ., 13 janv. 2010, n° 08-13.562 et n° 08-13.582 : Constr.-Urb. 2010, comm. 43, M.-L. Pagès-de-Varenne. – Cass. 3e civ., 14 avr. 2010, n° 09-10.515 : Constr.-Urb. 2010, comm. 92, M.-L. Pagès-de-Varenne. – Cass. 3e civ., 15 janv. 2014, n° 11-28.781 : Constr.-Urb. 2014, comm. 51, M.-L. Pagès-de-Varenne). Il faut prendre garde que ces frais ne sont en revanche pas couverts par les garanties d’assurances obligatoires, sauf convention contraire. En effet, l’assureur dommages-ouvrage et l’assureur RC décennale ne sont tenus que de prendre en charge les « travaux de réparation de l’ouvrage », ainsi que « les travaux de démolition, déblaiement, dépose ou démontage éventuellement nécessaires » (C. assur., art. A. 243-1, ann. I, II et III). Il en résulte que les dommages immatériels restent hors champ des garanties obligatoires et donc non- couverts par les assureurs en présence, à moins qu’une clause expresse de la police étende la garantie à ce type de préjudices (Cass. 3eciv., 11 févr. 2014, n° 12-35.323 : Constr.-Urb. 2014, comm. 67, M.-L. Pagès-de-Varenne. – Cass. 3e civ., 5 déc. 2019, n° 18-20.181 , préc. – Cass. 3e civ., 5 mars 2020, n° 18-15.164).

 II – L’erreur d’implantation ouvrant droit à réparation sur le fondement du droit commun

            Lorsque l’erreur d’implantation n’engendre pas de désordres relevant des garanties légales spéciales, mais seulement des dommages de moindre importance, tels que des préjudices esthétiques et/ou d’agrément, elle ne peut donner lieu qu’à la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur auquel est imputable ladite erreur.

            L’erreur d’implantation doit en effet être analysée comme une mauvaise exécution des stipulations contractuelles liant le maître de l’ouvrage au constructeur, lequel a manqué à son obligation d’édifier l’ouvrage à l’endroit convenu.

            L’article 1184  ancien du Code civil énonçait que « […] la partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix ou de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages et intérêts ». Sur le fondement de ce texte – applicable aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats par l’Ordonnance du 10 février 2016 – la jurisprudence avait admis la condamnation du constructeur responsable d’une erreur d’implantation à démolir l’ouvrage et à reconstruire celui-ci à l’endroit convenu dans le contrat de louage d’ouvrage (Cass. 3e civ., 17 sept. 2014, n° 12-24.122 et 12-24.612 : RD imm. 2014, p. 644, note Ph. Malinvaud), alors même que l’erreur d’implantation était minime (V., pour des erreurs d’implantation, respectivement, de 33 centimètres et 35 cm : Cass. 3e civ., 11 mai 2005, n° 03-21.136 : Bull. civ. III, n° 103 ; RD imm. 2005, p. 299, note Ph. Malinvaud et Cass. 3e civ., 6 mai 2009, n° 08-14.505 : Bull. civ. III, n° 99 ; RD imm. 2009, p. 426, note Ph. Malinvaud. V. également, pour une erreur d’altimétrie, Cass. 3e civ., 12 avr. 2018, n° 17-26.906 : en l’espèce, la Cour de cassation censure une cour d’appel qui avait rejeté la demande en démolition et en reconstruction d’une maison alors qu’elle avait relevé que « la maison était implantée avec un défaut d’altimétrie de 40 centimètres » et qu’il n’était pas constaté que l’exécution en nature du contrat fût impossible).

            L’article 1217 du Code civil, dans sa rédaction issue de la réforme de 2016 (applicable aux contrats conclus après le 1er octobre 2016), permet toujours au contractant victime d’une inexécution ou d’une exécution imparfaite de l’obligation de « poursuivre l’exécution forcée en nature de l’obligation ». Cependant, l’article 1221 du même code prive le créancier de cette possibilité d’exécution en nature « s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ». En raison de cette restriction, le maître de l’ouvrage victime d’une erreur d’implantation modérée a aujourd’hui fort peu de chances d’obtenir la destruction du bâtiment et sa reconstruction, ces deux opérations entraînant des frais que les tribunaux pourraient certainement juger disproportionnés au regard de l’intérêt du maître de l’ouvrage.

            Sur le fondement de la responsabilité contractuelle, laquelle ne peut être engagée que si l’erreur d’implantation a causé des dommages de faible importance (ne relevant pas des garanties légales), le maître de l’ouvrage victime de ce défaut de conformité devra sans doute désormais se contenter de dommages et intérêts en réparation des préjudices (tels que, par exemple, le préjudice résultant de la moins-value subi par la construction ou le préjudice d’agrément) que lui cause l’erreur d’implantation.

Maud Asselain

Sources :

https://www.lemag-juridique.com/categories/articles-15504/articles/construction-et-indemnisation-pour-erreur-dimplantation-1532.htm

https://www.systemed.fr/normes-droit-regles/construction-que-faire-cas-erreur-implantation,8060.html

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