Les constructeurs réalisent fréquemment des travaux sur, sous ou dans un ouvrage existant, ce qui, concrètement, correspond aux opérations de rénovation (lourde ou légère), de réhabilitation, d’aménagement, de réparation ou d’entretien.

            La mise en œuvre de la responsabilité décennale en présence de désordres et malfaçons résultant de travaux sur un bâtiment préexistant a donné lieu à des solutions prétoriennes successives et opposées, avant que la Cour de cassation n’en revienne à sa jurisprudence première.

Jurisprudence initiale. L’article 1792 du Code civil, fondement textuel de la garantie décennale, pose le principe de la responsabilité de plein droit de « tout constructeur d’un ouvrage ». En conséquence, la jurisprudence a, pendant longtemps et avec logique, refusé d’engager la responsabilité décennale de l’entrepreneur (ou de l’artisan) en présence de travaux réalisés sur existants qui n’étaient pas assimilables à des travaux de construction d’un ouvrage, ce qui correspond à des travaux modestes d’entretien ou de rénovation. Ainsi, il avait été jugé que la pose et le raccordement de canalisations de plomberie constituaient une simple réfection de l’ouvrage, qui n’était pas assimilable à une opération de construction au sens de l’article 1792 du Code civil (Cass. 3e civ., 18 janv. 2006, n° 04-18.903 : RD imm. 2006, p. 230, note Ph. Malinvaud). De même, les désordres affectant une installation de climatisation réalisée sur un ouvrage existant ne relevaient pas en principe de la garantie décennale, à moins que les travaux réalisés soient, en raison de leur ampleur et de l’utilisation de technique de construction, assimilables à des travaux de construction d’un ouvrage (Cass. 3e civ., 28 janv. 2009, n° 07-20.891 : JurisData n° 2009-046846 ; JCP G 2009, 1351 ; Defrénois 2010, p. 219, note H. Périnet-Marquet ; RD imm. 2009, p. 254, note Ph. Malinvaud ; RTD civ. 2009, p. 317, note B. Fages. – Cass. 3e civ., 7 nov. 2012, n° 11-19.023 : JurisData n° 2012-025157. – Cass. 3e civ., 10 déc. 2003, n° 02-12.215 : JurisData n° 2003-021351 ;Defrénois 2005, art. 38079, note H. Périnet-Marquet ; RD imm. 2004, p. 193, note Ph. Malinvaud). Pareillement, il avait été jugé que l’installation d’une pompe à chaleur n’est pas assimilable à la construction d’un ouvrage et n’ouvre pas droit à la garantie décennale (Cass. 3e civ., 12 nov. 2015, n° 14-20915. – Cass. 3e civ., 4 mai 2016, n° 15-15379 : le constat que les travaux ont nécessité la pose d’un socle en béton et des raccordements hydrauliques ne suffit pas à caractériser l’existence d’un ouvrage), à moins que les travaux soient d’une ampleur considérable (Cass. 3e civ., 24 sept. 2014, n° 13-19615 : RD imm. 2014, p. 643, obs. Ph. Malinvaud : constitue un ouvrage l’installation, sur un ouvrage existant, d’un système de climatisation par pompe à chaleur immergée au fond d’un puits en contact avec la nappe phréatique). Dans le même ordre d’idée, il était établi que la pose d’un insert dans une cheminée préexistante n’est pas assimilable à la construction d’un ouvrage, lequel aurait supposé des reprises de la maçonnerie ou de la structure, de sorte que le propriétaire ne pouvait pas engager la responsabilité décennale de l’entrepreneur (Cass. 3e civ., 7 nov. 2012, n° 11-20.532 : JurisData n° 2012-025051 ; Constr.-Urb. 2013, comm. 7, obs. M.-L. Pagès-de Varenne).

            Jurisprudence issue des arrêts de 2017. Par trois arrêts en date des 15 juin 2017, 14 septembre 2017 et 26 octobre 2017, la 3ème Chambre civile a opéré un revirement en décidant que « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination » (Cass. 3e civ., 15 juin 2017, n° 16-19640 : RGDA juill. 2017, p. 426, note P. Dessuet ; Resp. civ. et assur. 2017, comm. 248. – Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-17323 : RD imm.2017, p. 542, obs. Ph. Malinvaud ; JCP 2017, n° 1048, note J.-P. Karila ; Resp. civ. et assur. 2017, comm. 315, H. Groutel. – Cass. 3e civ., 26 oct.2017, n° 16-18.120 : RGDA nov. 2017, p. 562, note P. Dessuet ; Resp. civ. et assur. févr. 2018, comm. 51, H. Groutel).

            Il résultait de cette jurisprudence que, en présence de travaux réalisés sur un immeuble existant, il n’était plus nécessaire de constater que lesdits travaux étaient de suffisamment grande ampleur pour être assimilables à des travaux de construction d’un ouvrage. La garantie décennale pouvait être sollicitée dès lors que le désordre affectant le ou les éléments d’équipement installés sur l’ouvrage existant rendait celui-ci impropre à sa destination. Ainsi la pose d’une pompe à chaleur (arrêt du 15 juin 2017), l’installation d’une cheminée à foyer fermé (arrêts du 14 septembre et du 26 octobre 2017) permirent d’engager la responsabilité décennale du constructeur qui avait réalisé ces travaux pourtant non assimilables à la construction d’un ouvrage (V. dans le même sens : Cass. 3e civ., 7 mars 2019, n°18-11741 : RD imm. 2019, p. 286, obs. M. Poumarède : désordres affectant un insert à l’origine d’un incendie ayant intégralement détruit la maison d’habitation. – Cass. 3e civ., 26 nov. 2020, n°19-17824 : désordres affectant une pompe à chaleur).

Remarque : Un arrêt du 13 juillet 2022 était venu restreindre la portée de ces solutions. Après avoir rappelé que « en en application de [l’article 1792 du Code civil], les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination », la 3ème Chambre civile affirmait en effet que « cette règle ne vaut cependant, s’agissant des éléments adjoints à l’existant, que lorsque les désordres trouvent leur siège dans un élément d’équipement au sens de l’article 1792-3 du Code civil, c’est-à-dire un élément destiné à fonctionner » (Cass. 3e civ., 13 juill. 2022, n°19-20231 : RGDA sept. 2022, p. 37, note P. Dessuet). Il en résultait que les désordres, quel que soit leur degré de gravité, affectant un élément non destiné à fonctionner, adjoint à l’existant, relevaient à nouveau exclusivement de la responsabilité contractuelle de droit commun de l’entrepreneur. En l’espèce, les désordres affectant des carrelages et des cloisons en plâtre posés dans le cadre de la rénovation d’un immeuble (préexistant) n’autorisèrent pas l’engagement de la responsabilité décennale du constructeur, alors même que les travaux entrepris avaient provoqué des remontées d’humidité rendant l’immeuble impropre à sa destination.

            Jurisprudence actuelle issue de l’arrêt de 2024 : retour à la jurisprudence initiale. Par un arrêt du 21 mars 2024 (n°22-18.694, publié au Bulletin : Resp. civ. et assur. avr. 2024, étude 3, S. Bertolaso et Ph. Brun ; RGDA avr. 2024, p. 36, note P. Dessuet), la 3ème Chambre civile a opéré un nouveau revirement de jurisprudence en abandonnant la solution qu’elle avait adoptée en 2017. La Haute Cour estime en effet que « il apparaît nécessaire de renoncer à cette jurisprudence [issue des arrêts de 2017] et de juger que, si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs ». Les solutions jurisprudentielles antérieures à 2017 sont en conséquence à nouveau « d’actualité ». En l’espèce, la responsabilité décennale d’une société qui avait procédé à l’installation (défectueuse) d’un insert dans une cheminée préexistante est écartée, alors même que le désordre – grave puisqu’il avait entraîné l’incendie de l’ensemble de la maison – avait rendu l’ouvrage impropre à sa destination.

            Dès lors que les travaux de rénovation, d’entretien ou de réparation entrepris dans un bâtiment préexistant sont de faible ampleur et ne font pas appel à des techniques de construction qui permettraient de les assimiler à une opération d’édification d’un ouvrage, la responsabilité encourue par l’entrepreneur est, désormais et à nouveau, une responsabilité contractuelle de droit commun. Le propriétaire de l’immeuble ne saurait bénéficier de la garantie décennale dans ces circonstances et donc des garanties d’assurances obligatoires, quelles que soient la nature et la gravité des désordres constatés.

            La solution nuit-elle au propriétaire qui a fait réaliser les travaux ? Il ne le semble pas. A l’appui de son revirement de jurisprudence, la Cour de cassation relève elle-même que « la jurisprudence initiée en 2017 ne s’est pas traduite par une protection accrue des maîtres de l’ouvrage ou une meilleure indemnisation ». Il ressort en effet des consultations entreprises par les Hauts magistrats auprès de plusieurs acteurs du secteur (France assureurs, Fédération nationale des travaux publics, Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment, Fédération française du bâtiment, Institut national de la consommation) qu’en dépit du risque de responsabilité décennale que faisait peser sur eux la jurisprudence de 2017, les installateurs d’éléments d’équipement susceptibles de relever de la garantie décennale n’avaient pas modifié leur couverture d’assurance et ne bénéficiaient donc pas nécessairement d’une police (pourtant obligatoire) garantissant leur responsabilité décennale.

            Certes, le revirement opéré par l’arrêt du 21 mars 2024 interdit désormais au propriétaire qui fait réaliser de petits travaux de se prévaloir de la responsabilité de plein droit fondée sur l’article 1792 du Code civil. Or ce régime de responsabilité est très favorable à la victime, laquelle n’a pas à démontrer une faute de l’entrepreneur, mais simplement la gravité des désordres, pour bénéficier d’une indemnisation. A la réflexion cependant, le régime de droit commun n’est guère moins favorable. La jurisprudence estime en effet que l’entrepreneur est tenu, sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun, d’une obligation de résultat (Cass. 3e civ., 27 avr. 2011, n° 09-70527. – Cass. 3e civ., 8 mars 2021, n° 20-14226. – Cass. 3e civ., 21 sept. 2022, n° 21-17984 : Gaz. Pal. 17 janv. 2023, p. 62, note A. Caston). Il en résulte que le propriétaire n’a pas à établir la faute de l’entrepreneur, laquelle est présumée exister dès lors qu’est constaté un dommage imputable à son intervention (ce qui suffit à démontrer que le résultat promis n’a pas été atteint). L’entrepreneur ne pourra s’exonérer de cette responsabilité quasi automatique qu’en prouvant que les désordres sont imputables à une cause étrangère (Cass. 3e civ., 5 juin 2012, n° 11-16104. – Cass. 3e civ., 22 oct. 1980, n° 79-12249 : Bull. civ. III, n°162).

            Il demeure toutefois que, l’assurance de responsabilité professionnelle de droit commun n’étant pas obligatoire, par opposition à l’assurance de responsabilité décennale, on ne peut exclure que l’entrepreneur chargé des travaux modestes (mais dont les conséquences dommageables peuvent être graves) n’ait souscrit aucune assurance. En cela, le revirement opéré par la 3ème Chambre civile pourrait se révéler nuisible au propriétaire qui fait effectuer des travaux de faible ampleur. On conseillera donc à celui-ci de s’enquérir, auprès de l’entrepreneur et avant la conclusion du contrat d’entreprise, de l’existence de garanties d’assurance facultatives appelées à jouer en cas de désordres et/ou de malfaçons. Encore que, comme l’ont souligné certains commentateurs (Ph. Brun et S. Bertolaso, « Construction – Éléments d’équipement de l’ouvrage : retour vers le futur ! » : Resp. civ. et assur., avr. 2024, étude 3. – P. Dessuet, note sous Cass. 3e civ., 21 mars 2024, n° 22-18694 : RGDA avr. 2024, p. 36), l’assurance de biens (« multirisques habitation ») souscrite par le propriétaire lui-même viendra, en principe, pallier une éventuelle carence en prenant en charge les dommages causés à l’existant par les travaux défectueux, de sorte que c’est finalement sur les épaules de l’assureur « habitation », lequel devra exercer son recours contre un entrepreneur non-assuré, que reposera le risque d’insolvabilité de ce dernier.

Sources : lexis 360 intelligence, village justice, skovavocats

 

 

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