Les dommages intermédiaires

Notion et réparation des « dommages intermédiaires » affectant l’ouvrage

Inconnue du Code civil, la notion de « dommages intermédiaires » est une création jurisprudentielle conçue pour permettre au maître de l’ouvrage affecté de malfaçons de moindre gravité que les désordres décennaux d’en obtenir la réparation pécuniaire.

Le dommage intermédiaire se définit comme le désordre affectant une construction, survenu postérieurement à la réception de l’ouvrage, mais ne remplissant pas les conditions requises pour la mise en œuvre de la responsabilité décennale ou de la garantie de bon fonctionnement dont les constructeurs sont débiteurs sur le fondement, respectivement, des articles 1792 et 1792-3 du Code civil. Révélé après la réception, le dommage intermédiaire se distingue du désordre décennal par sa moindre gravité puisqu’il ne porte pas atteinte à la solidité de l’ouvrage, ni ne rend celui-ci impropre à sa destination. Il se distingue également du désordre déclenchant la garantie de bon fonctionnement en ce qu’il affecte un élément inerte.

Il a ainsi été jugé que constituent des dommages intermédiaires, des fissures inesthétiques affectant un carrelage (Cass. 3e civ., 9 déc. 1998, n° 97-13.416 : RD imm. 1999, p. 106, note Ph. Malinvaud), des cloquages de peinture survenus sur la façade d’un immeuble (Cass. 3e civ., 20 janv. 1999, n° 97-15.104 : Resp. civ. et assur. 1999, comm. 179), des coulures d’un revêtement d’étanchéité (Cass. 3e civ., 9 févr. 2000, n° 98-13.931 : Resp. civ. et assur. 2000, comm. 157), des désordres affectant les peintures en sous-face des balcons d’un bâtiment (Cass. 3e civ., 4 juin 2009, n° 08-13.239 : Bull. civ. III, n° 130), des infiltrations mineures (Cass. 3e civ., 13 févr. 2013, n° 11-28.376 : Constr.-Urb. 2013, comm. 59, M.-L. Pagès-de-Varenne), des infiltrations à l’origine d’inondations épisodiques d’un parking (Cass. 3e civ., 16 avr. 2013, n° 12-18.230), le décollement du revêtement de bacs en acier (Cass. 3e civ., 12 juin 2013, n° 11-12.283 : RD imm. 2013, p. 438, note Ph. Malinvaud), les cloquages des sous-faces des plafonds de terrasses (Cass. 3e civ., 11 juin 2014, n° 13-16.334), des fissures non infiltrantes et décollements de peinture qui n’affectent ni l’étanchéité, ni la solidité d’un hôtel (Cass. 3e civ., 19 sept. 2019, n° 18-19.353).

Lorsqu’ils apparaissent dans l’année suivant la réception de l’ouvrage, ces désordres ouvrent droit à la garantie de parfait achèvement visée par l’article 1792-6 du Code civil. Mais, d’une part, ces dommages peuvent survenir ultérieurement, d’autre part, le maître de l’ouvrage peut, alors même qu’il pourrait solliciter la garantie de parfait achèvement, préférer une indemnisation pécuniaire à la réparation en nature qu’offre ladite garantie (sous forme de reprise des désordres par le constructeur qui en est à l’origine). Dans ces hypothèses, seule une action en responsabilité de droit commun, dirigée contre les constructeurs défaillants, est susceptible de donner satisfaction au maître de l’ouvrage.

Pareille action est-elle admissible ?

La Cour de cassation a répondu par l’affirmative dans un arrêt de principe du 30 juillet 1978, présenté comme fondateur de la théorie des désordres intermédiaires, aux termes duquel « la cour d’appel, qui a relevé que les malfaçons litigieuses, relatives aux gros ouvrages, n’affectaient pas la solidité de la maison et ne la rendaient pas impropre à sa destination, a exactement énoncé que le constructeur ne pouvait donc en être présumé responsable sur le fondement de la garantie décennale de l’article 1792 du Code civil, et que le maître de l’ouvrage disposait dès lors d’une action en responsabilité contractuelle contre cet architecte à condition de démontrer sa faute » (Cass. 3e civ., 10 juill. 1978, n° 77-12.595 : Bull. civ. III, n° 285). Des arrêts postérieurs ont confirmé que des désordres non apparents à la réception, qui n’affectent pas des éléments d’équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement et qui, ne compromettant ni la solidité ni la destination de la construction, ne sont pas soumis non plus à la garantie décennale, relèvent de la responsabilité de droit commun pour faute prouvée, dont la garantie de parfait achèvement due par l’entrepreneur n’exclut pas l’application (Cass. 3e civ., 22 mars 1995, n° 93-15.233 : Bull. civ. III, n° 80 ; JCP G 1995, I, 3893, n° 31, G. Viney. – Cass. 3e civ., 4 juin 2009, n° 08-13.239 : Bull. civ. III, n° 130 ; RD imm. 2009, p. 474, note O. Tournafond. – Cass. 3e civ., 11 mai 2004, n° 02-16.569 : RD imm. 2004, p. 383, note Ph. Malinvaud. – Cass. 3e civ., 16 avr. 2013, n° 12-18.230 : Constr.-Urb. 2013, comm. 88, M.-L. Pagès-de-Varenne).

En conséquence, afin d’obtenir réparation d’un dommage intermédiaire, le maître de l’ouvrage – qui est tenu de se placer sur le terrain de la responsabilité de droit commun, visée à l’article 1231 du Code civil (C. civ., art. 1147 anc.) – est contraint d’apporter la preuve d’une inexécution ou d’une exécution défectueuse du contrat de louage d’ouvrage imputable au défendeur. L’obligation, dont les constructeurs (et assimilés) sont débiteurs, de livrer un ouvrage exempt de vices intermédiaires est une obligation de moyens (Cass. 3e civ., 11 mai 2004, n° 02-16.569 : RD imm. 2004, p. 383, note Ph. Malinvaud. – Cass. 3e civ., 16 janv. 2020, n° 18-22.748 : cassation de la décision d’une cour d’appel qui avait admis la responsabilité d’un entrepreneur, au motif qu’il avait manqué à son obligation de résultat). Il en résulte que le maître de l’ouvrage ne peut se contenter d’établir que l’ouvrage est atteint de désordres, il doit encore prouver que ceux-ci résultent d’une faute commise par celui auquel il demande réparation. Lorsque l’origine exacte des désordres ne peut être établie, l’action du maître de l’ouvrage est donc vouée à l’échec. Il a ainsi été jugé que l’absence d’imputabilité des désordres à l’entrepreneur et leur caractère généralisé ne suffisent pas à établir l’existence d’une erreur de conception imputable à l’architecte et susceptible d’engager sa responsabilité de droit commun (Cass. 3e civ., 4 déc. 2012, n° 11-19.370 : Constr.-Urb. 2013, comm. 25, M.-L. Pagès-de-Varenne).

Il faut relever, toutefois, que la Cour de cassation ne subordonne pas la responsabilité du constructeur à la démonstration d’un fait personnel de celui-ci. En conséquence, le constructeur demeure tenu à la réparation des dommages intermédiaires, lorsque ceux-ci sont imputables à ceux qu’il s’est substitué dans l’exécution du contrat de louage d’ouvrage. Il a ainsi été jugé que « l’entrepreneur principal est responsable, à l’égard du maître de l’ouvrage ou des propriétaires successifs de l’ouvrage, des fautes de ses sous-traitants à l’origine des désordres [intermédiaires]» (Cass. 3eciv., 11 mai 2006, n° 04-20.426 : Bull. civ. III, n° 119 ; RD imm. 2006, p. 312, note Ph. Malinvaud. – Cass. 3e civ., 12 juin 2013, n° 11-12.283 : RD imm. 2013, p. 438, note Ph. Malinvaud). Nota : Il faut prendre garde que la solution ne s’étend pas au vendeur d’immeuble à construire, ni au vendeur après achèvement. Ces vendeurs, que les articles 1646-1 et 1792-1, 2° du Code civil assimilent pourtant à des constructeurs, ne sont responsables, sur le fondement de la théorie des dommages intermédiaires, que des désordres qui résultent de leur fait personnel et non du fait des entrepreneurs auxquels ils ont confié la réalisation de la construction (V., pour le vendeur d’immeuble à construire : Cass. 3e civ., 15 févr. 1989, n° 87-17.603 : Bull. civ. III, n° 38. – Cass. 3e civ., 13 févr. 2013, n° 11-28.376 : RD imm. 2013, p. 329, note O. Tournafond et J.-Ph. Tricoire. – Cass. 3e civ., 27 juin 2019, n° 18-14.786 : Constr.-Urb. 2019, comm. 124, obs. M.-L. Pagès-de-Varenne. V., pour le vendeur après achèvement : Cass. 3e civ., 4 nov. 2010, n° 09-12.988 : RD imm. 2011, p. 116, note J.-Ph. Tricoire). Il a ainsi été jugé que, « ayant relevé que les désordres intermédiaires affectant les peintures en sous-face des balcons résultaient d’un défaut d’exécution et retenu qu’aucune preuve d’un souci d’économie du vendeur [d’immeuble à construire] n’était rapportée, la cour d’appel […] en a justement déduit que la responsabilité contractuelle [du vendeur] n’était pas engagée en l’absence de preuve d’une faute pouvant lui être imputée » (Cass. 3e civ., 4 juin 2009, n° 08-13.239 : Bull. civ. III, n° 130 ; RD imm. 2009, p. 474, note O. Tournafond).

En tout état de cause, qu’elle soit dirigée contre un constructeur ou un vendeur, l’action en réparation d’un désordre intermédiaire est soumise au délai de prescription édicté par l’article 1792-4-3 du Code civil (Cass. 3e civ., 4 oct. 2018, n° 17-23.993), de sorte que, pour être recevable, elle doit être intentée avant l’expiration du délai de 10 ans suivant la réception de l’ouvrage.

Notons, enfin, que ces désordres, par définition, ne relèvent pas de la garantie décennale. En conséquence, ils ne sauraient être couverts par l’assurance de responsabilité obligatoire que les constructeurs sont tenus de contracter. A défaut de souscription d’une garantie d’assurance spécifique et facultative, la réparation des désordres intermédiaires sera supportée par le seul constructeur auquel ils sont imputables.

Maud Asselain

 

Sources :

https://www.karila.fr/fr/publications/dcn/themes/construction-1/responsabilite-contractuelle-des-constructeurs-avant-ou-apres-reception/apres-reception-2/dommages-intermediaires/

https://www.village-justice.com/articles/mise-oeuvre-notion-dommages-intermediaires,34603.html

https://www.mv-avocat.fr/actualites-juridiques/dommages-intermediaires/

 

 

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