L’étendue des garanties dans le temps en assurance de responsabilité civile 

La résiliation du contrat d’assurance emporte-t-elle la disparition des garanties ? 

Pour que l’indemnité d’assurance soit due, il est nécessaire, non seulement que le sinistre se réalise dans des circonstances couvertes par la police, mais encore qu’il survienne durant la période de validité des garanties. La règle est simple. Sa mise en œuvre l’est nettement moins dans le cadre des assurances de responsabilité.

Le risque couvert par l’assurance de responsabilité civile est par nature « composite ». Sa réalisation est, en conséquence, susceptible de s’échelonner dans le temps. Le fait générateur du dommage (ou « fait dommageable ») s’étant produit à une certaine date, le dommage lui-même peut n’apparaître que quelques mois, voire quelques années, plus tard, la réclamation de la victime intervenant encore ultérieurement. La difficulté va surgir chaque fois que l’un ou l’autre de ces événements susceptibles de déclencher la garantie de l’assureur s’est produit avant la souscription du contrat d’assurance ou, inversement, après son extinction.

L’antériorité du fait dommageable à la conclusion de la police d’assurance fait-elle obstacle à la mise en œuvre des garanties ? Le fait que le dommage ou la réclamation de la victime interviennent postérieurement à la résiliation du contrat autorise-t-il l’assureur à refuser sa garantie ?

La réponse à ces questions a été apportée par une loi du 1er août 2003, laquelle a inséré dans le Code des assurances un article L. 124-5. Ce texte, qui fixe les règles gouvernant l’étendue de la garantie dans le temps, a instauré deux régimes (1°), entre lesquels les parties peuvent en principe librement opter (2°). La loi a également eu le mérite de régler, au moins en partie, la question de l’articulation des garanties lorsqu’un même sinistre est susceptible d’être couvert par plusieurs contrats successifs (3°).

1°. – Régimes gouvernant la durée de la garantie (système « base fait dommageable » / système « base réclamation »)

  • Le premier régime, visé par l’article L. 124-5, alinéa 3, du Code des assurances et désigné par la pratique sous l’expression « système base fait dommageable», prévoit que la garantie est déclenchée par le fait dommageable. L’assureur est alors tenu de couvrir tout dommage dont le fait générateur s’est produit entre la date de prise d’effet et la date de résiliation ou d’expiration de la garantie fournie par le contrat, quelle que soit la date des autres éléments constitutifs du sinistre (C. assur., art. L. 124-5, al. 3). 

Il en résulte que la victime a droit à l’indemnité d’assurance dès lors que le dommage dont elle pâtit trouve son origine dans un événement qui s’est produit pendant la durée de validité des garanties, quand bien même le dommage lui-même ne se manifesterait que plusieurs années après l’extinction du contrat dont elle demande l’exécution à son profit, sous réserve, naturellement, que la victime agisse avant que son action en responsabilité ne soit prescrite. En d’autres termes, dans le « système base fait dommageable », l’assureur doit sa garantie aussi longtemps que la responsabilité de son assuré est susceptible d’être engagée par le tiers lésé.

  • Dans le second régime, dit «en base réclamation» et visé par l’article L. 124-5, alinéa 4, du Codes assurances, le droit à garantie est subordonné au cumul de deux conditions. D’une part il est nécessaire que le dommage trouve son origine dans un fait générateur survenu avant la date d’expiration ou de résiliation de la garantie. D’autre part, il est impératif que la réclamation de la victime (adressée à l’assuré ou à l’assureur) intervienne au plus tard avant l’écoulement d’un délai subséquent à la date de résiliation ou d’expiration de la garantie mentionnée au contrat.

Le délai de garantie subséquent ne peut être inférieur à 5 ans (C. assur., art. L. 124-5, al. 5). Ce délai est porté à 10 ans minimum lorsque le contrat couvre la responsabilité de certains professionnels, tels que les notaires, les avocats, les huissiers, les commissaires-priseurs, les syndics de copropriété, etc. (pour la liste complète, v. C. assur., art. R. 124-2).

Ce second régime permet à l’assureur de connaître de façon précise la durée pendant laquelle sa garantie pourra être mise en œuvre après la date d’extinction du contrat. Mais, en contrepartie, il l’oblige à « une reprise du passé », dans la mesure où il devra garantir des dommages qui trouvent leur origine dans un fait antérieur à la prise d’effet de la garantie née du contrat. Afin de prévenir les fraudes et de préserver l’aléa qui est de l’essence de l’assurance, la loi précise toutefois que « l’assureur ne couvre pas l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres s’il établit que l’assuré avait connaissance du fait dommageable à la date de la souscription de la garantie » (C. assur., art. L. 124-5, al. 4, in fine).

Remarque n°1 : Lorsque le contrat a été souscrit « en base réclamation », on peut arriver à cette curiosité que l’assureur est amené à couvrir un sinistre dont aucun des éléments n’est survenu durant la période où le contrat était en vigueur. Il en ira ainsi lorsque le fait générateur du dommage s’est produit avant la souscription du contrat (ce qui ne fait pas obstacle à la mise en œuvre de la garantie, puisque l’assureur est tenu à une « reprise du passé »), tandis que le dommage lui-même et la réclamation de la victime n’interviennent qu’après extinction du contrat, mais moins de 5 ans (ou 10 ans, selon les cas) suivant celle-ci.

Remarque n°2 : Afin que les assureurs ne réduisent pas à néant l’obligation qui leur est faite de maintenir la garantie pendant le délai subséquent (ce qui aurait été possible en stipulant un plafond de garantie dérisoire applicable aux réclamations intervenant après extinction du contrat), l’article L.124-5, alinéa 5, du Code des assurances impose à l’assureur de maintenir un engagement au moins équivalent à celui qui était le sien durant l’année qui a précédé l’extinction du contrat. Le texte prévoit en effet que le plafond de la garantie déclenchée par une réclamation intervenue durant le délai subséquent ne peut être inférieur au plafond qui avait cours durant la dernière année du contrat. Cependant, l’article R. 124-4 du Code des assurances précise que ce plafond (qui constitue un minimum, des stipulations plus favorables à l’assuré étant naturellement licites) « est unique pour l’ensemble de la période ». Ce plafond peut fort bien être épuisé dès la première année de la période subséquente, dès lors que les réclamations sont importantes ou nombreuses immédiatement après l’extinction du contrat. L’assureur peut en conséquence, de fait (et sauf accord pour reconstituer ce plafond), être libéré de son obligation bien avant l’expiration du délai subséquent.

 

2°. – Option entre les deux régimes

En principe, les parties au contrat sont libres d’opter pour l’un ou l’autre des régimes gouvernant l’étendue de la garantie dans le temps. Afin que cette option s’exerce de façon éclairée, la loi du 1re août 2003 a complété l’article L. 112-2 du Code des assurances, lequel détermine les informations que l’assureur est tenu de délivrer au candidat à l’assurance avant la souscription du contrat. En application de ce texte, l’assureur qui s’apprête à fournir une garantie d’assurance de responsabilité doit remettre à son futur partenaire « une fiche d’information décrivant le fonctionnement dans le temps des garanties déclenchées par le fait dommageable, le fonctionnement dans le temps des garanties déclenchées par la réclamation, ainsi que les conséquences de la succession de contrats ayant des modes de déclenchement différents ».

Par exception cependant, l’option entre les deux régimes est fermée aux parties. L’article L. 124-5, alinéa 1, du Code des assurances impose expressément la souscription d’un contrat en « base fait dommageable », lorsque le contrat est conclu par une personne physique en vue de la garantie du risque de responsabilité qu’elle encourt en dehors de son activité professionnelle. Le régime le plus protecteur de l’assuré s’impose en conséquence au particulier qui contracte pour des besoins privés étrangers à l’exercice de sa profession. 

A contrario, l’option est ouverte à l’ensemble des assurés personnes morales, ainsi qu’aux personnes physiques en vue de la couverture de leur responsabilité professionnelle.

Dès lors que l’option est autorisée, il est concevable que deux contrats successifs, conclus par le même assuré, aient été souscrits sur la base d’un mode de déclenchement différent. Ce qui est de nature à provoquer des chevauchements (ou cumuls) de garanties et pose en conséquence la question de l’articulation des garanties dans le temps. 

3°. – Articulation des garanties fournies par des contrats successifs

Lorsque deux contrats (souscrits auprès de deux assureurs différents) se succèdent dans le temps et que la réclamation de la victime intervient alors que le second contrat (le plus récemment souscrit) est en vigueur, une hésitation est susceptible de naître sur la garantie (l’ancienne ou la nouvelle) qu’il convient d’actionner.

Schématiquement quatre situations sont envisageables :

  • Les deux contrats successifs ont été souscrits en « base fait dommageable ». Ici aucun cumul de garanties n’est à redouter, aucune des polices n’impliquant « une reprise du passé ». Les deux contrats s’articulent naturellement, la date du fait générateur déterminant celui dont la garantie peut être réclamée, ce qui désigne le contrat qui était en vigueur au moment de la survenance de ce fait générateur.
  • Le premier contrat a été souscrit en « en base réclamation », le second (chronologiquement) en « base fait dommageable ». Là encore, la situation ne peut susciter ni absence de garantie (dès lors que la seconde police est entrée en vigueur dès la date d’extinction du premier contrat), ni cumul de garanties, puisque le second contrat ne garantit que les sinistres dont le fait générateur s’est produit sous son empire, sans reprise du passé.
  • Les deux contrats successifs ont été souscrits en « base réclamation ». Ici un chevauchement des garanties est concevable, en raison de « la reprise du passé » qui s’impose au second assureur. 

Exemple : le premier contrat a été résilié le 31 décembre 2018, le second, toujours en cours, a été souscrit le même jour. Le fait générateur du dommage s’est produit en 2016. La victime réclame son indemnisation en janvier 2022. Le premier assureur, a priori, est tenu d’indemniser le tiers lésé, au titre de la garantie subséquente (la réclamation est intervenue avant l’expiration du délai de 5 ans suivant la résiliation et le fait générateur est antérieur à l’extinction du contrat). Le second assureur est également tenu (la réclamation intervient alors que le contrat est en vigueur et l’antériorité du fait générateur par rapport à la conclusion de la police est indifférente, puisque ce second assureur doit « reprendre le passé inconnu »). 

Pour régler cette situation, on aurait pu songer à appliquer les règles gouvernant les assurances cumulatives (C. assur., art. L. 121-4) et opérer une répartition de la charge de l’indemnité entre les deux assureurs en situation de cumul, au prorata de leurs engagements respectifs. Le législateur a cependant décidé d’écarter l’application du régime des assurances cumulatives. L’article L. 124-5, alinéa 4, in fine, impose en effet la mise en œuvre du contrat en vigueur au moment de la réclamation de la victime (second contrat), à l’exclusion du contrat antérieur (et résilié). La garantie subséquente présente donc un caractère subsidiaire et ne sera actionnée que dans l’hypothèse où le second contrat souscrit en base réclamation ne pourrait être mis en œuvre, ce qui correspond au cas où ce contrat aurait été souscrit après que l’assuré eut pris connaissance du fait générateur (car alors « le passé » n’est plus « inconnu » et le second assureur ne peut être tenu de le garantir).

  • Le premier contrat a été souscrit en « base fait dommageable », le second « en base réclamation ». La reprise du passé inconnu par le second assureur est, comme dans la situation précédente, susceptible d’engendrer un cumul d’assurances.

Exemple : Le premier contrat, conclu en janvier 2019, a été résilié le 31 décembre 2021 ; le second a été souscrit le même jour. Le fait générateur du dommage s’est produit en 2020. La victime réclame indemnisation en 2022. La garantie du premier contrat est due, puisqu’elle est illimitée dans temps (sous réserve de la prescription de l’action en responsabilité de la victime) dès lors que le fait dommageable s’est produit alors que la police était en vigueur. La garantie du second contrat peut, a priori, également être actionnée, puisque celui-ci couvre, au titre de la garantie du passé inconnu, les dommages dont le fait générateur est antérieur à son extinction (y compris les dommages qui trouvent leur origine dans un fait dommageable antérieur à la date de souscription de la police).

Là encore, écartant les règles gouvernant le cumul d’assurances, la loi désigne expressément le contrat qui doit être mis en œuvre à l’exclusion de l’autre, en décidant que « la garantie déclenchée par le fait dommageable […] est appelée en priorité » (C. assur., art. L. 124-5, al.6). La garantie au titre de « la reprise du passé », née du second contrat (souscrit « en base réclamation »), joue donc un rôle subsidiaire et ne pourra être actionnée qu’en complément de la garantie fournie par le contrat conclu « en base fait dommageable », dans la seule hypothèse où cette dernière serait insuffisante pour couvrir l’entier dommage.

 

Maud Asselain

https://bjda.fr/la-revue/revue-n-66/letendue-de-la-garantie-dans-le-temps-en-assurance-responsabilite-civile-intervention-au-congres-international-de-droit-des-assurances-madrid-17-octobre-2019/

https://www.labase-lextenso.fr/ouvrage/9782275053981-1200

WordPress Appliance - Powered by TurnKey Linux