L’acquéreur ou l’héritier d’un bien peut-il bénéficier de l’assurance souscrite par l’ancien propriétaire ?

            Lorsqu’un bien, meuble ou immeuble, est vendu, donné, légué ou transmis par voie successorale, l’assurance y afférente, qui avait été souscrite par le vendeur, le donateur ou le défunt, est en principe transférée en même temps que le bien en question.

            A priori, la règle se justifie. En effet, lorsqu’un assureur a accepté de garantir un ou des biens déterminés contre des événements (incendie, vol, dégât des eaux…) également identifiés, le fait que le bien assuré fasse l’objet, ultérieurement, d’un transfert de propriété par le jeu d’une aliénation entre vifs ou d’une transmission à cause de mort ne modifie pas, de prime abord, la nature ou l’ampleur du risque initialement garanti. La persistance et l’intangibilité du risque, malgré la modification de l’identité du propriétaire du bien assuré, justifieraient ainsi le maintien l’assurance afférente à celui-ci.

            À la réflexion cependant, l’identité de l’assuré n’est pas nécessairement un élément indifférent. Dans tous les cas (et au moins ceux-ci) où l’assureur garantit la responsabilité liée à l’exercice du droit de propriété sur une chose, l’identité du propriétaire, son expérience, sa diligence et sa prudence sont des éléments d’appréciation du risque pris en compte par l’assureur. La transmission de la chose assurée peut en conséquence entraîner une modification du risque que l’assureur avait initialement accepté de couvrir.

            Cette modification, qui n’est qu’éventuelle, voire exceptionnelle, en cas de transfert d’un bien assuré quelconque, est en revanche quasi systématique (qu’il y ait diminution ou aggravation) lorsque le risque assuré est celui de dommages subis ou causés par un véhicule terrestre à moteur ou un navire (les qualités du conducteur ou skippeur habituel sont ici, de façon évidente, des éléments capitaux d’évaluation du risque et tout changement sur ce point entraîne inéluctablement une modification du risque).

            Ce constat explique, au moins en partie, la dualité des règles instituées par le Code des assurances en cas de transmission de la chose assurée. Alors que l’article L. 121-10, qui fonde le régime de droit commun, prévoit la transmission de plein droit de l’assurance au nouveau propriétaire des biens assurés, l’article L. 121-11 édicte un régime spécial, propre aux véhicules terrestres à moteur et aux navires, qui écarte le principe de la transmission de l’assurance pour prescrire sa suspension en cas d’aliénation du véhicule ou du bateau.

            Ce régime spécial fera l’objet d’une étude dans le prochain numéro. Nous n’aborderons ici que les règles de droit commun, lesquelles prescrivent la transmission automatique de l’assurance au nouveau propriétaire (I), mais réservent néanmoins aux parties une faculté de résiliation de la police transmise (II).

1 – Transmission du contrat d’assurance

            L’article L. 121-10, alinéa 1, du Code des assurances énonce que « en cas de décès de l’assuré ou d’aliénation de la chose assurée, l’assurance continue de plein droit au profit de l’héritier ou de l’acquéreur ».

            Remarque : Le principe de transmission de l’assurance en même temps que la chose assurée peut s’expliquer par une relative intangibilité du risque couvert (V. supra), de sorte qu’il n’y aurait pas d’obstacle au transfert de la police accessoirement au bien. À l’origine, le principe se fondait également sur des raisons pratiques : il s’agissait de protéger l’acquéreur (ou l’héritier) contre le risque d’une absence totale de garantie. Cette dernière raison, étant donné le développement contemporain de l’assurance, est moins convaincante aujourd’hui qu’hier. La plupart des futurs propriétaires songent eux-mêmes à souscrire une assurance pour couvrir le bien qu’ils acquièrent, de sorte que la disposition de l’article L. 121-10 crée une situation de cumul d’assurances plus souvent qu’il ne protège le nouveau propriétaire contre le risque d’une absence d’assurance. À cet égard, on peut s’interroger sur la pertinence du maintien du principe de transmission du contrat accessoirement à la chose assurée (V. P. Vallier, « Faut-il abroger l’article L. 121-10 du Code des assurances ? » : Resp. civ. et assur. 2000, chron. 26).

            Mais, pour l’heure, le principe demeure, ce qui exige d’en connaitre les conditions d’application (A), ainsi que les effets (B).

A) Conditions de la transmission du contrat

            Aux conditions relatives à l’assurance (1°) s’ajoutent des conditions relatives au transfert de propriété (2°). En revanche la transmission du contrat n’est subordonnée à aucune condition de forme (3°).

  1. Conditions relatives à l’assurance

            La transmission du contrat d’assurance s’opère quelle que soit la nature de l’assurance en cause. L’assurance de biens souscrite par l’ancien propriétaire, mais également l’assurance couvrant le risque de responsabilité lié à la propriété ou à l’exercice des pouvoirs caractéristiques de la garde sur la chose sont transmises en même temps que le bien lui-même (Cass. civ., 27 juill. 1948 : GAD assur. 1948, p. 37, obs. Cl.-J. Berr et H. Groutel ; D. 1948, jurispr. p. 565, note P. Lerebours-Pigeonnière ; RGAT 1948, p. 317, note A. Besson : « L’article 19 de la loi du 13 juillet 1930 [C. assur., art. L. 121-10] relatif à la transmission de plein droit de l’assurance à l’acquéreur de la chose assurée est une disposition générale, dont la portée ne se restreint pas à l’assurance de choses et qui doit recevoir application en cas d’assurance du risque causé par l’exercice de la propriété d’une chose« . En l’espèce, l’assurance de responsabilité afférente à l’exploitation d’un fonds de commerce est transmise à l’acquéreur du fonds. Dans le même sens, à propos d’une assurance de responsabilité liée à l’exploitation d’un fonds agricole : Cass. 1re civ., 18 oct. 1955 : RGAT 1956, p. 131). En dépit du particularisme de l’assurance construction, la jurisprudence estime que la cession de l’immeuble objet d’une assurance dommages-ouvrage emporte transmission de cette dernière à l’acquéreur (Cass. 3e civ., 17 mars 1999 : RGDA 1999, p. 650, note A. d’Hauteville. – Cass. 3e civ., 20 oct. 2004, n° 03-13.599 : JurisData n° 2004-025286 ; Resp. civ. et assur. 2004, comm. 381, G. Courtieu. – Cass. 3e civ., 17 déc. 2014, n° 13-22.494 : JurisData n° 2014-031348 ; RGDA 2015, p. 105, note J.-P. Karila). Échappent, en revanche, aux dispositions de l’article L. 121-10 les contrats d’assurance relatifs aux véhicules terrestres à moteur (depuis la Loi n° 58-208 du 27 févr. 1958) ainsi que les polices afférentes aux navires et bateaux de plaisance (en application de la Loi n° 81-5 du 7 janv. 1981). Au cas de cession entre vifs de ces biens, c’est le régime dérogatoire institué par l’article L. 121-11 du Code des assurances qui s’applique.

            En outre et bien que l’article L. 121-10 ne mentionne pas expressément cette condition, la Cour de cassation subordonne le transfert de la police au fait que l’assurance se rapporte de façon spéciale et indépendante à la chose transférée : « la transmission de plein droit à l’acheteur d’une chose assurée a pour condition nécessaire que la chose achetée soit la matière d’un risque qui lui est propre, auquel correspond une prime spéciale ou une partie divisible d’une prime totale » (Cass. civ., 27 janv. 1948 : D. 1949, jurispr. p. 458, note A. Besson ; RGAT 1948, p. 26. – Cass. 1re civ., 3 déc. 1974 : Bull. civ. 1974, I, n° 316 ; RGAT 1975, p. 510, note A. Besson. – Cass. 1re civ., 21 janv. 1992 : JurisData n° 1992-003296 ; Resp. civ. et assur. 1992, comm. 157). Il en résulte que l’assurance qui couvre un ensemble de biens moyennant le paiement d’une prime globale et indivisible ne peut être transmise à l’acquéreur d’un élément de l’ensemble (Cass. civ., 27 janv. 1948, préc.). De même, « l’assurance globale et forfaitaire souscrite par le vendeur et couvrant l’ensemble d’un immeuble moyennant une prime indivisible » n’est pas transmise à l’acquéreur d’un appartement (Cass. 1re civ., 3 déc. 1974, préc.). Inversement, lorsqu’une fraction de la prime globale peut être attribuée à la couverture du risque afférent au bien aliéné, le principe de transmission retrouve son empire (Cass. 1re civ., 21 janv. 1992, préc. : la prime globale réclamée pour l’assurance d’un immeuble et calculée sur la base du nombre de mètres carrés habitables est divisible, de sorte que l’assurance afférente à un appartement situé dans l’immeuble en question a pu être transmise à l’acquéreur de celui-ci. V. également : Cass. 1re civ., 21 mars 1995 : JurisData n° 1995-000687 ; Resp. civ. et assur. 1995, comm. 218 ; Bull. civ. 1995, I, n° 132 : caractère divisible des primes d’une assurance transport ayant pour assiette le chiffre d’affaires de l’assuré).

            Pour que le transfert s’opère, il faut également, la condition est évidente, que l’assurance soit encore en vigueur au moment de la transmission de la chose assurée. Une assurance résiliée avant la cession ne peut pas bénéficier à l’acquéreur (Cass. 1re civ., 3 janv. 1991 : RGAT 1991, p. 323, note R. Maurice. – V. également : Cass. 2e civ., 17 févr. 2011, n° 09-67.906 : JurisData n° 2011-001.880 ; Resp. civ. et assur. 2011, comm. 196, sol. impl.).

       2. Conditions relatives au transfert de propriété

            Le transfert de propriété de la chose assurée (ou susceptible d’engager la responsabilité de l’assuré) est une condition expresse de la transmission de l’assurance. Elle est considérée comme satisfaite aussi bien en cas de transfert de la pleine propriété que dans l’hypothèse d’une cession de la nue-propriété ou de l’usufruit (Cass. 1re civ., 10 juin 1986 : Bull. civ. 1986, I, n° 158 ; RGAT 1986, p. 340).

            Le transfert de propriété emportant transmission de l’assurance peut résulter du décès de l’assuré aussi bien que d’une aliénation entre vifs, à titre gratuit (donation, donation-partage) ou onéreux (échange, apport en société, vente, cession judiciaire dans le cadre d’une procédure collective : Cass. 2e civ., 13 juill. 2005, n° 03-12.533 : JurisData n° 2005-029452 ; Resp. civ. et assur. 2006, comm. 38 et étude 1, M. Asselain ; Bull. civ. 2005, II, n° 195. Dans le même sens : Cass. 2e civ., 24 oct. 2019, n° 18-15994 : BJDA déc. 2019, note M. Asselain ; RGDA déc. 2019, p. 14, note A. Pimbert ; Resp. civ. et assur. 2020, comm. 20, note H. Groutel). Il en résulte que l’héritier, le légataire (à titre universel ou particulier), comme le repreneur des biens assurés de l’entreprise en liquidation judiciaire, l’acquéreur ou le donataire de la chose assurée vont profiter de l’assurance souscrite par leur auteur (et peuvent se voir réclamer les primes afférentes à celle-ci).

            Remarque : L’annulation ou la résolution de l’acte opérant transfert de propriété emporte anéantissement rétroactif de la transmission de l’assurance, de sorte que le vendeur est réputé n’avoir jamais perdu la qualité d’assuré, ce qui lui donne le droit de percevoir l’indemnité afférente au sinistre survenu entre la date de la vente et le jour de sa résolution (Cass. 1re civ., 18 oct. 1983 : Bull. civ. 1983, I, n° 233 ; RGAT 1984, p. 372, note A. Besson. V. également dans le même sens, la vente étant annulable en raison du dol de l’acquéreur : Cass. 1re civ., 21 févr. 1995 : Resp. civ. et assur. 1995, comm. 140 ; RGAT 1995, p. 303, note J. Kullmann) et lui rend inopposable la faute intentionnelle commise par l’acquéreur, lequel doit être réputé n’avoir jamais eu la qualité d’assuré (Cass. 1re civ., 11 mars 1986 : Bull. civ. 1986, I, n° 58 ; RGAT 1986, p. 336, note J. Bigot : en l’espèce, un cinéma avait été volontairement incendié par son acquéreur. Par la suite, la vente avait été résolue pour non-paiement du prix. L’assureur fut contraint de verser l’indemnité de sinistre au vendeur supposé n’avoir jamais perdu la propriété de la chose assurée, sans pouvoir opposer la faute intentionnelle commise par l’acquéreur, lequel devait être considéré comme n’ayant jamais eu la qualité d’assuré).

            La charge de la preuve du transfert de propriété (et de sa date) repose sur celui qui se prévaut de la transmission de l’assurance. L’assureur peut rapporter cette preuve par tous moyens, la cession de la chose assurée s’analysant à son égard comme un fait juridique (Cass. 1re civ., 27 nov. 1970 : RGAT 1971, note J. Bigot). Inversement, les parties à la vente doivent se plier aux exigences de preuve des articles 1359 et suivants du Code civil : le vendeur qui voudrait échapper au paiement de la prime échue après le transfert ou l’acquéreur qui voudrait obtenir le versement de l’indemnité entre ses mains devront en principe prouver la cession de propriété au moyen d’un écrit (Cass. 1re civ., 27 nov. 1970, préc.).

     3. Absence de condition de forme

            L’article L. 121-10 du Code des assurances prévoit que “l’assurance continue de plein droit”. Aucune formalité n’est requise de l’assureur ou de l’acquéreur (ou de l’héritier), le transfert s’opérant automatiquement indépendamment d’une quelconque manifestation de volonté. Le caractère d’ordre public du texte interdit à l’assureur de subordonner la transmission du contrat à une déclaration préalable, par l’aliénateur, du transfert de propriété envisagé (Cass. 1re civ., 4 juill. 1956 : RGAT 1956, p. 252, note A. Besson). Il en résulte que la transmission de l’assurance peut fort bien s’opérer à l’insu de l’assureur comme du nouveau propriétaire, ce qui peut se révéler gênant étant donné les effets qui s’attachent, pour les deux parties, à cette transmission.

B) Effets de la transmission

            Le transfert de propriété de la chose assurée emporte transmission active et passive du contrat d’assurance afférent au bien transmis (Cass. 1re civ., 28 juin 1988 : Resp. civ. et assur. 1988, comm. 28 ; Bull. civ. 1988, I, n° 205 ; RGAT 1988, p. 769, note J. Bigot ; D. 1989, somm. p. 242, obs. H. Groutel).

  1. Transmission active du contrat d’assurance

            Dès l’instant de l’aliénation, le nouveau propriétaire du bien assuré se voit transmettre l’ensemble des droits nés du contrat d’assurance souscrit par le cédant. Il peut en conséquence réclamer le versement entre ses mains de l’indemnité de sinistre, alors même que la réalisation de ce dernier serait antérieure au transfert de propriété (Cass. 3e civ., 7 mai 2014, n° 13-16.400 : JurisData n° 2014-009633 ; Resp. civ. et assur. 2014, comm. 284, H. Groutel ; Bull. civ. 2014, III, n° 61 : « sauf clause contraire, l’acquéreur d’un immeuble a qualité à agir en paiement des indemnités d’assurance contre l’assureur des vendeurs garantissant les risques de catastrophe naturelle, même pour les dommages nés antérieurement à la vente ». Dans le même sens : Cass. 3e civ., 17 déc. 2014, n° 13-22.494 : JurisData n° 2014-031348 ; RGDA 2015, p. 105, note J.-P. Karila. – Cass. com., 6 janv. 2015, n° 12-26.545, n° 13-11.726 : RGDA 2015, p. 163, note R. Schulz. – Cass. 3e civ., 7 mars 2019, n° 18-10.973 : JurisData n° 2019-003235 ; Resp. civ. et assur. 2019, comm. 172, note H. Groutel.

            Outre la créance de garantie, sont également transmis au cessionnaire du bien, les accessoires de cette dernière et notamment l’action en responsabilité contractuelle qui s’y rattache (Cass. 1re civ., 9 mai 2001, n° 98-20.107 : JurisData n° 2001-009364 ; Resp. civ. et assur. 2001, comm. 305, note P. Vaillier ; Bull. civ. 2001, I, n° 118 ; RGDA 2001, p. 1051, note D. Langé : « en cas de vente de l’objet assuré, l’assurance continue au profit de l’acquéreur et, avec elle, les actions en responsabilité contractuelles en dérivant« . L’acquéreur du bien est, en l’espèce, autorisé à engager la responsabilité contractuelle de l’assureur pour manquement à son devoir de conseil, la garantie souscrite par le vendeur étant très insuffisante par rapport à l’ampleur du risque qu’il s’agissait de garantir).

            Conformément au droit commun de la cession de créance, laquelle n’entraîne aucune modification du montant ou des conditions d’exécution de la créance cédée (Cass. 1re civ., 6 mai 1968 : JCP G 1969, II, 15737, R. Prieur : « le cessionnaire ne peut avoir des droits plus étendus que le cédant ». – Cass. 1re civ., 5 janv. 1999 : Bull. civ. 1999, I, n° 1 ; Defrénois 1999, p. 752, obs. Ph. Delebecque), le nouvel assuré doit être garanti dans les mêmes conditions que l’ancien. En conséquence, les clauses de franchise ou de plafonnement figurant dans la police transmise, de même que l’éventuelle réduction proportionnelle de l’indemnité pour déclaration inexacte du risque (C. assur., art. L. 113-9) ou la règle proportionnelle de capitaux dans l’hypothèse où la chose assurée aurait été sous-évaluée par l’aliénateur lors de la souscription du contrat (C. assur., art. L. 121-5) sont opposables au nouveau propriétaire assuré.

            On peut s’interroger, en revanche, sur l’opposabilité immédiate au nouveau propriétaire “des clauses édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions” dans la mesure où, en application de l’article L. 112-4 du Code des assurances, elles “ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents”. La jurisprudence a déduit de ce texte que ces clauses ne sont opposables à l’assuré qu’à partir du moment où elles ont été portées à sa connaissance (V. par ex. : Cass. 1re civ., 7 mars 1989 : Resp. civ. et assur. 1989, comm. 303 ; Bull. civ. 1989, I, n° 105. – Cass. 1re civ., 31 mars 1993 : Resp. civ. et assur. 1993, comm. 206). Le fait que le changement d’identité de l’assuré s’opère sans le consentement de l’assureur, ne le dispense pas d’exécuter toutes les obligations que la loi met à sa charge et notamment le devoir d’information de son assuré (l’article L. 121-10 du Code des assurances n’apporte aucune dérogation sur ce point : l’assureur est tenu envers le nouvel assuré d’exécuter toutes les obligations qui étaient à sa charge envers l’ancien). Il en résulte que les exclusions de garantie comme les déchéances ne pourront être opposées au nouveau propriétaire de la chose assurée que lorsqu’un exemplaire de la police lui aura été remis par l’assureur (faute de jurisprudence sur la question, on ne peut toutefois affirmer avec certitude qu’une telle solution, très défavorable à l’assureur, serait adoptée par les tribunaux).

            À compter du transfert de la chose assurée, l’ancien propriétaire perd la qualité d’assuré et n’a donc plus vocation à recueillir l’indemnité d’assurance. Il n’a plus, en principe, de droit contre l’assureur, mais il reste cependant tenu de certaines obligations envers lui, la transmission passive du contrat à l’acquéreur ne le libérant pas totalement.

     2. Transmission passive du contrat d’assurance

            L’héritier ou l’acquéreur est tenu, à compter du transfert de propriété “d’exécuter toutes les obligations dont l’assuré était tenu vis-à-vis de l’assureur en vertu du contrat” (C. assur., art. L. 121-10, al. 1er). Il doit en conséquence procéder aux déclarations d’aggravation du risque sous peine des sanctions édictées par les articles L. 113-8 et L. 113-9 du Code des assurances, de même qu’il est chargé de déclarer les sinistres survenus après l’aliénation, ainsi que ceux qui, bien que réalisés avant la cession, n’ont encore fait l’objet d’aucune déclaration (le vendeur n’a en effet plus qualité pour procéder à une quelconque déclaration, quand bien même était-il encore propriétaire de la chose assurée au moment de la survenance du sinistre qu’il s’agit de porter à la connaissance de l’assureur : en ce sens : Cass. 3e civ., 17 déc. 2014, n° 13-22.494 : JurisData n° 2014-031348 ; RGDA 2015, p. 105, note J.-P. Karila). Surtout, l’acquéreur (ou l’héritier) est débiteur des primes d’assurances échues depuis la transmission du bien. En cas d’aliénation, l’alinéa 3 de l’article L. 121-10 prévoit cependant que l’aliénateur reste tenu, en qualité de garant, au paiement des primes échues postérieurement au transfert, tant qu’il n’a pas informé l’assureur de l’aliénation « par lettre, tout autre support durable ou moyen prévu à l’article L. 113-14 ». Cette condition de forme, prescrite par la loi, doit être impérativement respectée : l’information de l’assureur par un autre moyen ne libère pas l’aliénateur de sa qualité de garant (Cass. 1re civ., 27 oct. 1970 : RGAT 1971, p. 349. – Cass. 1re civ., 17 janv. 1984 : D. 1984, jurispr. p. 469, note Cl.-J. Berr et H. Groutel ; RGAT 1985, p. 249, note F. Chapuisat). Lorsque l’aliénateur est amené à acquitter une prime échue depuis le transfert, au lieu et place du nouveau propriétaire, il dispose naturellement d’un recours intégral contre ce dernier.

            La transmission passive de l’assurance n’a pas pour effet de mettre à la charge de l’acquéreur (ou de l’héritier) le paiement des primes échues avant le transfert de propriété. Le montant de ces primes antérieures impayées doit être acquitté par l’aliénateur ou prélevé sur la succession du défunt. Les primes étant en pratique payables d’avance, la prime correspondant à l’année d’assurance au cours de laquelle le transfert de propriété a lieu, doit être considérée comme échue. L’assureur est en conséquence en droit d’en réclamer le paiement intégral à l’aliénateur, alors même qu’une fraction de cette prime correspond (à moins que le transfert de propriété n’ait lieu la veille de la nouvelle échéance) à une période où l’aliénateur n’est plus bénéficiaire de la garantie. La jurisprudence accorde cependant à l’ancien assuré une action contre le nouveau, afin d’obtenir remboursement de la fraction de prime afférente à la période d’assurance postérieure à l’aliénation et ce, alors même qu’aucun accord en ce sens n’aurait été passé par les parties à la vente (Cass. 1re civ., 25 janv. 1972 : Bull. civ. 1972, I, n° 24 ; RGAT 1972, p. 508).

            À défaut de paiement des primes, l’assureur est en droit, après mise en demeure de l’assuré, de suspendre sa garantie (au terme d’un délai de trente jours suivant la mise en demeure) et de résilier le contrat (une fois un nouveau délai de dix jours écoulé, soit 40 jours après la mise en demeure). La procédure de sanction de l’assuré défaillant instituée par l’article L. 113-3 du Code des assurances est plus ou moins facile à mettre en œuvre pour l’assureur, selon la date d’échéance de la prime en souffrance :

                        – lorsque la prime impayée est échue après le transfert de la chose assurée et après information de l’assureur du changement d’identité de l’assuré, l’acquéreur ou l’héritier est seul débiteur et c’est à lui que l’assureur doit adresser la lettre de mise en demeure déclenchant le processus de sanction, ce qui ne soulève pas de difficulté car l’identité de ce débiteur est par hypothèse connue de l’assureur ;

                        – lorsque la prime impayée est échue postérieurement au transfert de propriété mais avant toute information de l’assureur, ce dernier, ignorant l’existence du transfert, devrait pouvoir adresser sa lettre de mise en demeure à celui qu’il croit être encore son assuré (c’est-à-dire l’aliénateur). La jurisprudence estime cependant que « la mise en demeure pour défaut de paiement d’une prime échue, envoyée, postérieurement au transfert, au vendeur, qui demeurait tenu au paiement des primes jusqu’au moment où il a informé l’assureur de l’aliénation, est demeurée sans conséquence sur l’obligation de garantie, qui ne pouvait être suspendue que par une mise en demeure adressée à l’acquéreur » (Cass. 1re civ., 28 juin 1988 : Resp. civ. et assur. 1988, comm. 28 ; D. 1989, somm. p. 242, obs. H. Groutel ; RGAT 1988, p. 769, note J. Bigot). Cette jurisprudence fait obstacle à la suspension de la garantie (et, a fortiori, à la résiliation de l’assurance) pour non-paiement des primes : l’assureur, qui, par hypothèse, ne connaît pas l’identité du nouvel assuré, n’est évidemment pas en mesure de satisfaire l’exigence jurisprudentielle : comment pourrait-il adresser une mise en demeure à un destinataire dont il ignore tout ? ;

                        – lorsque la prime impayée est échue avant le transfert de propriété et que le processus de sanction a été déclenché par l’assureur avant ce transfert, il n’y a pas de difficulté. La mise en demeure a été adressée à l’aliénateur à un moment où il avait encore la qualité d’assuré. La suspension de garantie qui en découle automatiquement doit être considérée comme opposable à l’acquéreur, quand bien même surviendrait-elle après le transfert : l’acquéreur se voit en effet transmettre la garantie dans l’état où elle se trouve au moment où il acquiert la propriété de la chose assurée. Si la garantie était en instance de suspension au moment du transfert, il n’a pu recueillir qu’une garantie provisoire (dont le maintien est conditionné par le paiement de la prime arriérée). Lorsque l’assureur ne décide d’envoyer la mise en demeure pour non-paiement d’une prime antérieure au transfert qu’après la réalisation de ce dernier, il faut pareillement décider que cette mise en demeure peut valablement déclencher le processus de sanction, lorsqu’elle a été adressée à l’aliénateur. Certes, ce dernier n’a plus la qualité d’assuré au moment où la lettre de l’assureur lui parvient. Or l’article L. 113-3 du Code des assurances exige une mise en demeure de l’assuré. Il semble toutefois plus logique d’interpréter le texte comme imposant une mise en demeure du débiteur de la prime dont il est réclamé paiement (une mise en demeure de payer adressée à celui qui ne doit rien, en l’occurrence l’acquéreur qui n’est pas tenu au paiement des primes antérieures, n’aurait aucun sens).

 2 – Faculté de résiliation réciproque

            L’article L. 121-10, alinéa 2, du Code des assurances accorde à l’assureur (A) comme au nouveau propriétaire de la chose assurée (B) le droit de résilier le contrat transmis.

            Cette faculté n’appartient pas en revanche à l’aliénateur, lequel a perdu, du fait de la transmission de la police, les droits qu’il tirait de cette dernière et spécialement son droit de résiliation (Cass. 1re civ., 21 mai 1986 : Bull. civ. 1986, I, n° 130. – Une résiliation effectuée par le vendeur avant le transfert de propriété serait en revanche parfaitement valable. En ce sens : Cass. 2e civ., 17 févr. 2011, n° 09-67.906 : JurisData n° 2011-001.880 ; Resp. civ. et assur. 2011, comm. 196, sol. impl.).

A) Faculté de résiliation ouverte à l’assureur

  1. Mise en œuvre de la faculté de résiliation

            L’assureur qui entend résilier la police transmise doit respecter une condition de délai : il est tenu de manifester son intention, au plus tard, trois mois après la demande de transfert de la police à son nom par l’attributaire des biens assurés (C. assur., art. L. 121-10, al. 2). Le texte ne doit pas être compris comme subordonnant l’exercice de la faculté de résiliation à une demande de transfert émanant du nouveau propriétaire : l’assureur est naturellement en droit de résilier dès qu’il a connaissance, d’une façon ou d’une autre, de l’aliénation. Quant à « la demande de transfert de la police » qui fait courir le délai de trois mois au-delà duquel la résiliation par l’assureur serait impossible car trop tardive, elle doit être assimilée à toute demande adressée (dans une forme quelconque) à l’assureur par le nouveau propriétaire et visant à faire apparaître ce dernier comme le bénéficiaire de la garantie dans les documents contractuels. L’article L. 121-10, alinéa 2, ne pose pas d’autres conditions, mais dans la mesure où la faculté qu’il accorde à l’assureur se fonde sur l’existence d’une aggravation du risque, la procédure prévue en cas de résiliation pour ce motif doit être respectée. L’assureur devra en conséquence notifier sa décision à l’assuré, ce qu’il fera en pratique (afin de conserver une preuve de la résiliation et de sa date) par l’envoi d’une lettre recommandée ou d’un recommandé électronique.

    2. Effets de la résiliation à l’initiative de l’assureur

            Les effets de la résiliation sont également régis, toujours en raison du fondement de la faculté reconnue à l’assureur, par les dispositions de l’article L. 113-4 du Code des assurances qui gouverne la résiliation pour aggravation du risque. Il en résulte que la résiliation n’entraîne extinction de la garantie qu’au terme d’un délai de dix jours suivant sa notification et que l’assureur est tenu de “rembourser à l’assuré la portion de prime ou de cotisation afférente à la période pendant laquelle le risque n’a pas couru”. Bien que le texte prescrive le remboursement de l’assuré, qui est, au moment où l’assureur résilie, le nouveau propriétaire des biens assurés, le versement de l’assureur doit s’effectuer entre les mains de celui qui a payé la fraction de prime excédentaire, c’est-à-dire l’aliénateur (les primes étant payables d’avance, c’est en effet ce dernier qui aura normalement acquitté la prime correspondant à la période au cours de laquelle la garantie s’éteint).

B) Faculté de résiliation ouverte à l’assuré

     1. Modalités de la résiliation par l’assuré

            Selon l’article L. 121-10, alinéa 2 « Il est loisible, (…) à l’héritier ou à l’acquéreur de résilier le contrat ». Le texte est silencieux sur les modalités de la résiliation par le nouveau propriétaire assuré, ce dont il faut se garder de déduire qu’elle peut être faite sous une forme quelconque. La jurisprudence estime que l’acquéreur est tenu de manifester « personnellement envers l’assureur sa volonté de résilier le contrat en usant de l’une des modalités prévues par l’article L. 113-14 du Code des assurances, dont l’énumération est limitative » (Cass. 1re civ., 18 oct. 1983 : Bull. civ. 1983, I, n° 232 ; D. 1985, inf. rap. p. 193, obs. Cl.-J. Berr et H. Groutel ; RD imm. 1984, p. 80, obs. G. Durry.  Dans le même sens : Cass. 2e civ., 7 oct. 2010, n° 09-16.763 : JurisData n° 2010-017862 ; Resp. civ. et assur. 2010, comm. 331, M. Asselain ; RGDA 2011, p. 57, note S. Abravanel-Jolly ; D. 2011, p. 1931, obs. H. Groutel). Ce dernier texte prescrit le respect de certaines formes “dans tous les cas où l’assuré a la faculté de demander la résiliation”. La généralité de ses termes impose effectivement son application au cas de résiliation après transfert de propriété. Il en résulte que le nouveau propriétaire doit résilier « soit par lettre ou tout autre support durable, soit par déclaration faite au siège social ou chez le représentant de l’assureur, soit par acte extrajudiciaire, soit par tout autre moyen prévu par le contrat » (C. assur., art. L. 113-14, I) ou, sous certaines conditions, par voie électronique (C. assur., art. L. 113-14, II).

            Aucun délai n’est imposé à l’acquéreur pour procéder à la résiliation. Les dispositions de l’article L. 121-10, qui confèrent ce droit de résilier au nouveau propriétaire à tout moment, étant impératives (C. assur., art. L. 111-2), l’assureur ne peut imposer, par une clause de la police, le respect d’un délai d’option (entre la poursuite du contrat ou sa résiliation) au nouvel assuré, pas plus qu’il ne peut le mettre en demeure d’opter dans un certain délai de temps.

    2. Effets de la résiliation par l’assuré

            Lorsque l’assuré use de sa faculté de résiliation, cette dernière prend effet immédiatement. Faute de texte spécial ou général imposant le respect d’un délai de préavis, la garantie doit être considérée comme éteinte dès l’instant où l’assureur a été informé de la résiliation. Le paiement de la prime, opéré généralement au début de la période d’assurance, se trouve, du fait de l’extinction anticipée de la garantie, partiellement dépourvu de cause. Il faut admettre, en conséquence et malgré le silence des textes sur ce point, que l’assureur est tenu de restituer à l’auteur du paiement (généralement il s’agit de l’aliénateur) la fraction de prime correspondant à la période séparant la résiliation de la prochaine échéance de prime. L’assureur n’est pas en droit de conserver cette fraction à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice que lui causerait la rupture du contrat. L’article L. 121-10, alinéa 5 du Code des assurances énonce expressément qu’il “ne peut être prévu le paiement d’une indemnité à l’assureur” pour le cas où l’assuré ferait usage de la faculté de résiliation.

     3. Renonciation à la résiliation par l’assuré

            Libre d’exercer son droit de rompre le contrat d’assurance, l’assuré est également libre d’y renoncer, à partir du moment, toutefois, où ce droit est effectivement entré dans son patrimoine (l’assureur ne saurait imposer au futur acquéreur ou au futur héritier une renonciation anticipée à sa faculté de résiliation : Cass. civ., 27 juill. 1948 : GAD assur. 1948, p. 37, obs. Cl.-J. Berr et H. Groutel ; RGAT 1948, p. 317, note A. Besson). L’assuré peut manifester sa renonciation par un acte adressé à l’assureur : lorsqu’il paie une prime échue depuis le transfert de propriété ou qu’il demande le transfert de la police à son nom, il manifeste sa volonté de poursuivre le contrat (et a fortiori de renoncer à la résiliation). La clause par laquelle l’acquéreur s’engage, dans le contrat opérant transfert de propriété, à poursuivre l’assurance afférente à la chose cédée est en revanche plus difficile à interpréter. On peut y voir « une stipulation pour autrui qui confère à l’assureur un droit direct contre l’acquéreur, lequel ne peut plus dès lors se refuser à exécuter le contrat » (Cass. 1re civ., 18 févr. 1964 : RGAT 1964, p. 457, note A. Besson. – Cass. 1re civ., 18 juill. 1972 : Bull. civ. 1972, I, n° 187). Il faut se garder, cependant, d’analyser systématiquement cette clause de continuation de l’assurance, comme une manifestation de renonciation à la résiliation au profit de l’assureur. Une telle clause peut également être stipulée dans l’intérêt de l’aliénateur, lequel, dès lors qu’il fait crédit à l’acheteur, est intéressé au maintien de l’assurance. Le vendeur de meuble ou d’immeuble impayé disposant d’une créance privilégiée (C. civ., art. 2332, 4° et 2374, 1°), il se voit attribuer l’indemnité d’assurance en cas de sinistre du bien vendu (C. assur., art. L. 121-13). Il en résulte que la poursuite de l’assurance constitue pour lui une garantie de remboursement de sa créance. La clause de continuation de l’assurance peut donc fort bien avoir été acceptée par l’acquéreur dans l’intérêt exclusif de l’aliénateur. Si tel est le cas, l’assureur n’est pas autorisé à s’en prévaloir pour faire échec à une résiliation de l’assurance, la clause ne valant pas, à son égard, renonciation à la résiliation (Cass. 1re civ., 23 janv. 1968 : JCP G 1968, II, 15437, R. Lindon).

Maud Asselain

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